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jusqu’ici nous avions prise ? Pouvions-nous répondre à la constitution octroyée du 4 mars plus dignement que nous no l’avons fait ? Je ne suis pas ici pour décider ce qui convient aux peuples de l’Europe ; mais ce que je sais pertinemment, c’est que, dans les circonstances présentes, la moindre victoire remportée sur le champ de bataille nous vaut plus d’avantages et d’honneur que le plus foudroyant manifeste, et que les victoires gagnées au nom du roi Ferdinand Ier, notre roi légitime, et de la constitution sanctionnée par lui sont la meilleure réponse de la Hongrie aux vaines imaginations des membres du cabinet de Vienne. »

Kossulh alors demanda d’un air quelque peu ricaneur à Goergei s’il croyait qu’en effet les vieilles troupes eussent jamais songé sérieusement à Ferdinand V et à la constitution de 1848 :

« Et à quoi, s’il vous plait, auraient-elles pensé ? s’écria le général. Ignorez-vous qu’après l’évacuation des capitales ma proclamation de Waitzen était l’unique moyen qui nous restât de retenir sous le drapeau de la Hongrie ces braves gens résolus à passer à l’ennemi ? Comment expliquerez-vous le sens de la démonstration faite à Kaschau par mon corps d’armée contre le général Dembinski, si ce n’est par la crainte qui les possédait tous de perdre en moi un chef ayant la religion du serment prêté ? J’ai vécu avec ces troupes, j’ai partagé leurs joies et leurs souffrances, je connais leur esprit et leurs sentimens : eh bien ! si en ce moment le roi Ferdinand V était là, je n’aurais pas la moindre hésitation à l’inviter à m’accompagner au camp et à venir seul au milieu d’eux et sans défiance recevoir leurs acclamations et leurs hommages ! »

Qu’était-ce que cette protestation du corps d’armée du Haut-Danube contre le général Dembinski ? Cet incident nous ramène aux actes qui avaient marqué la carrière militaire de Goergei entre le manifeste de Waitzen et cette entrevue avec Kossuth. Un jour, au milieu de février 1849, le mécontentement éclate au camp de Kaschau. Les vieux soldats murmurent, les officiers menacent de briser leur épée ; une division tout entière, la division Kinety, fait dire à son jeune chef qu’elle est prête à s’insurger et, s’il veut se mettre à sa tête, à marcher sur le congrès de Débreczin. Ce mécontentement, cette agitation, cette défiance, qui les provoque ? Le bruit d’une mesure que le comité de défense nationale vient de prendre. Par arrêté du ministre de la guerre, le général Dembinski est nommé commandant supérieur de l’armée hongroise, et Goergei passe ainsi naturellement sous ses ordres. La politique d’initiative révolutionnaire que cet acte malencontreux semblait inaugurer, on la devine. Au manifeste de Waitzen le gouvernement répondait par le choix d’un homme dont le moindre défaut aux yeux du corps d’armée du Haut-Danube était de ne pas reconnaître ce manifeste. La cause de la république avançait d’un pas dans les conseils de Débreczin. Bem en Transylvanie, Dembinski général en chef, décidément l’émigration polonaise triomphait. Goergei ressentit amèrement