Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/896

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne peut éviter dans des circonstances pareilles qu’à la condition d’être, comme Napoléon, à la fois César et pilote. Je m’explique. Kossuth, en sa qualité de dictateur politique, devait nécessairement avoir affaire à des chefs militaires, et, si c’est une rude fonction pour un homme investi d’un caractère purement civil d’avoir, en cas de guerre, à donner des ordres à des généraux toujours prêts à mettre en avant la question de compétence, que sera-ce lorsque, ces généraux ayant pour ainsi dire chacun son drapeau personnel, sa foi particulière, on comptera en quelque sorte autant de volontés et d’impulsions que de corps d’armée ! Certes l’éloquence est un glorieux don, et d’autres que M. Kossuth nous l’ont prouvé dans nos récens désastres ; mais, hélas ! depuis long-temps les murailles ont perdu l’habitude d’obéir à l’harmonie rhythmique d’une période, et quand l’ennemi s’approche, quand il s’agit de reprendre sur lui une citadelle, force est bien au plus divin parleur d’avoir recours aux baïonnettes. Or les baïonnettes, ce sont les généraux qui les commandent, et si ces généraux trouvent à propos de déchirer les instructions que vous leur adressez, s’ils haussent les épaules de pitié à chacune de vos remontrances, contre de tels méfaits quel parti prendrez-vous ? Etes-vous la convention pour envoyer à la guillotine ces hommes superbes qui vous narguent et vous jettent du milieu de la poudre et des balles cette invective dédaigneuse que celui qui paie de sa personne ne marchande jamais à celui qui ne paie que de sa parole ? Querelles entre Goergei et Dembinski, entre Kern et Vécsey, entre Vetter et Bänffy, c’était le camp des Grecs devant Troie que cette armée hongroise où s’agitaient toutes les opinions, toutes les passions, toutes les animosités, toutes les haines de la diète de Débreczin.

L’assemblée madgyare, qui, après avoir successivement transporté ses pénates de Presbourg à Pesth, en avril 1849 siégeait à Débreczin, se composait, comme toutes les assemblées de ce genre, d’une droite, d’un centre et d’une gauche. Or, chacun de ces partis étant représenté dans l’année, il convient de les passer en revue, si l’on veut se rendre compte des tiraillemens qui ne cessèrent jusqu’à la fin d’exister entre le gouvernement central et les divers chefs en qui s’incarnait la force militaire.

Dans cette lutte avec l’Autriche, chacun en effet avait son point de vue. La droite, par exemple, combattait pour son souverain légitime, le roi Ferdinand V. À ses yeux, le jeune roi François-Joseph, n’ayant rempli aucune des conditions imposées par la loi pragmatique, n’ayant pas même atteint l’âge voulu, était simplement un usurpateur. En minorité dans le parlement, ce parti avait pour principaux coryphées à l’armée les Goergei, les Damjanich, les Véczey, les Linange, et bon nombre d’autres généraux, jadis officiers dans l’armée autrichienne et chez lesquels la foi royaliste survivait. En levant au nom du roi