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font mieux et plus vite que les noirs, et l’émigration incessante des Européens lirait devoir être suffisante pour combler les vides. L’exemple de la Virginie prouve d’ailleurs que la différence de travail est surtout une différence de climat, puisque le travail noir s’est supprimé de lui-même dans la moitié de l’état; il en serait donc ainsi sur le reste du territoire, s’il était démontré qu’il n’y a pas dommage grave pour la propriété.

Dans les états du nord, l’esclavage a été supprimé sans peine et sans secousse, parce que les noirs n’étaient guère depuis long-temps, employés que dans l’intérieur des maisons à des travaux domestiques; mais, lorsque la question de l’émancipation touche à la mise en valeur même de la propriété, on conçoit qu’elle prend un caractère beaucoup plus grave. Déjà cependant des tentatives sérieuses ont été faites; un des habitans considérables de la Louisiane a employé des travailleurs irlandais, et n’a pas eu trop à se plaindre des résultats pour certains genres d’occupations, surtout pour celles qui regardaient la cuisson et la préparation du sucre. Pour toutes les professions qui touchent à l’industrie proprement dite, le travail blanc est encore supérieur ; mais la grande difficulté est dans la culture. Nos ouvriers en cuirs vernis, nos verriers, nos boulangers, nos forgerons, bien d’autres encore supportent dans leurs travaux un degré de chaleur fort intense ; mais ils se sentent délassés et rafraîchis dès qu’ils ont quitté l’atelier, et l’énergie de notre atmosphère répare bientôt leurs forces, leur permet de reprendre et de soutenir long-temps une lutte dans laquelle ils succomberaient bien vite sous l’influence d’un climat tropical. Jusqu’à présent, on ne peut rien dire de concluant du travail blanc en ce qui concerne le labourage, la récolte et les autres occupations des champs qui exigent des corps acclimatés[1]. Les États-Unis ne doivent donc pas se lasser de multiplier les tentatives, d’examiner, par exemple, le parti à tirer des divers agens mécaniques déjà inventés pour économiser les bras, d’en chercher d’autres, de préparer enfin par tous les moyens possibles la solution d’une si grande question.

Lorsqu’on entreverra l’époque à laquelle l’émancipation sera praticable, que de précautions ne faudra-t-il pas encore pour préparer les affranchis à user convenablement de leur liberté! Puis, si on proclame tout d’un coup l’émancipation, n’y aura-t-il pas lieu à une indemnité que l’état seul peut et doit payer? Or jusqu’à présent les états du nord, qui reprochent avec tant d’amertume à leurs confédérés de l’ouest et du sud la honte de l’esclavage, n’ont jamais parlé de les indemniser, bien loin de là. Cependant le dernier recensement évalue le nombre des esclaves à plus de trois millions, dont la valeur, au prix moyen actuel de 350 piastres, représente l’énorme somme de plus d’un milliard de piastres. Comment veut-on que le gouvernement fédéral puisse jamais grever le trésor d’une pareille charge, et procéder à l’émancipation par l’indemnité? En présence des immenses difficultés qui s’offrent de tous côtés, quand on veut arriver à un résultat définitif, honnête et pratique,

  1. On a fait venir à la Martinique des Lorrains qui, chaque année, on le sait, vont faire au loin la moisson et sont habitués à travailler au soleil. Jusqu’ici l’on ne voit pas que l’expérience ait donné des résultats bien significatifs. Quant à Cuba et à Porto-Rico, on n’y pense pas qu’en aucun cas on puisse se passer du travail des noirs, et d’ailleurs les colons espagnols ne sont pas gens à pousser bien loin leurs études à ce sujet.