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état libre, l’Ohio, des terres en quantité suffisante, de les allotir, d’y faire construire des maisons et des bâtimens d’exploitation, et de les pourvoir de bestiaux, de semences et d’instrumens aratoires. On se conforma à la volonté du généreux donateur, et d’abord les choses se passèrent régulièrement; mais, lorsque le fidèle mandataire arriva à la tête de son noir convoi pour installer les affranchis et les mettre en possession de leurs propriétés et de leurs droits de citoyens, il trouva sur la rive toute la population blanche du canton, armée jusqu’aux dents, qui lui signifia qu’on ne souffrirait pas qu’on fondât au milieu d’elle une colonie de vils nègres. Le projet dut être abandonné.

L’anti-slavisme des états du nord serait-il un leurre et cacherait-il d’autres intentions? Faut-il croire, comme je l’ai entendu affirmer, que les états du nord veulent usurper sur ceux du sud et de l’ouest une suprématie qui leur permette, dans l’intérêt de leurs fabriques, de régler à leur gré les tarifs de douane et de traiter leurs confédérés en véritables tributaires? Faut-il admettre, comme des gens fort sérieux me l’ont dit, que c’est le résultat, en grande partie, des machinations de l’Angleterre, jalouse de la prospérité croissante des États-Unis et dépitée de l’insuccès de l’émancipation aux Indes occidentales? Ce que je crois pouvoir affirmer, c’est que des faits journaliers et des préjugés révoltans démontrent jusqu’à l’évidence la mauvaise foi ou l’inconséquence absurde de certains négrophiles du nord. Il faut bien ajouter aussi que l’anti-slavisme n’est pas seulement une opinion religieuse ou humanitaire; c’est, pour beaucoup de gens, un très bon métier et une base d’influence assez considérable. Pour soutenir la thèse et propager la doctrine, il faut des comités, des journaux, des missionnaires, des employés de toute sorte, et bon nombre d’individus, que la condition des noirs touche peu, seraient néanmoins très fâchés que la question perdît de son importance, ou, à plus forte raison, qu’elle fût abandonnée tout-à-fait, car tel lui a dû un siège au congrès, tel autre le bien-être de sa famille.

Quoi qu’il en soit de la fâcheuse condition faite aux noirs libres des États-Unis, on y poursuit, on le voit, avec une infatigable ardeur, la solution du grand problème de l’émancipation. Il faut examiner un moment cette question telle que la comprennent les vrais philanthropes et les propriétaires d’esclaves éclairés et consciencieux.

Dans l’état actuel de la civilisation, il n’est contesté par personne que l’esclavage soit un fait anormal et affligeant. Tous les cœurs généreux, tous les bons esprits désirent sincèrement en finir avec cette odieuse anomalie, et les citoyens américains plus que les autres, car il y a là le germe d’une dissension funeste pour leur puissante république. La difficulté n’est donc pas de savoir si on en finira, mais comment on en finira; le grand agent, le principal instrument de cette mesure capitale, c’est évidemment le temps. Les résultats déplorables d’une émancipation anticipée dans les colonies anglaises sont là pour ouvrir les yeux aux plus prévenus; par suite d’une précipitation inepte ou coupable, maîtres et esclaves ont été confondus dans une même ruine. Voilà recueil qu’il faut éviter, et il faut avant tout que le travail libre puisse être substitué au travail esclave pour la culture du tabac, de la canne ou du cotonnier. Quant aux végétaux qui croissent sous des latitudes tempérées, il n’y a pas à s’en occuper, car l’expérience prouve que les travailleurs blancs