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quelques statistiques, parmi les citoyens qui sont considérés comme catholiques, parce qu’ils ne professent ni les cultes protestans ni le culte Israélite, on en peut compter par millions qui, en réalité, n’appartiennent à aucun culte. Dans ce nombre, combien en est-il dont le zèle serait excité par la liberté ! La vérité, la foi, n’auraient-elles pas plus de prise sur des ames qu’animerait une croyance, même égarée, que sur celles qu’on laisse sommeiller et s’éteindre dans une froide indifférence ?

Il ne faut pas d’ailleurs exagérer l’importance des cultes qui pourraient se créer à l’ombre de la liberté. On dirait, à entendre ceux qui la combattent, qu’une foule de religions nouvelles n’attendent que le signal pour déployer leur étendard : il n’en est rien. De nouvelles religions ne se créent pas à plaisir ; il faut des apôtres pour les répandre, des croyans pour les servir. Les apôtres et les croyans sont rares de notre temps. On a pu le voir dans les courts intervalles où les lois avaient levé toutes les barrières. L’indifférence et la pitié ont fait justice de rêves absurdes et insensés. On parle des religions de l’antiquité et de leur résurrection ; qui songe aux mystères d’Isis et aux bacchanales ? qui donc se prépare à faire sortir de leur tombeau les divinités du paganisme ? Le christianisme les y a ensevelies à jamais. Ce qui est à prévoir, c’est la division du troupeau dans les églises établies, dans le protestantisme surtout, qui l’autorise par sa doctrine. Sous le gouvernement de 1830, la liberté des cultes a été invoquée presque exclusivement par les fractions dissidentes du protestantisme. Il se peut que l’unité religieuse et la pureté des dogmes soient mises en question, mais l’état n’en est pas le gardien et n’a rien à voir dans ces discussions. Les intérêts qui le touchent sont à couvert : c’est là tout ce qui lui importe. En vain prétend-on que les religions nouvelles opposeraient leur organisation, leur puissance collective, leurs forces concentrées, à son organisation, à sa puissance et à ses forces : c’est supposer aux actes du culte un caractère et une influence qu’ils ne sauraient avoir. Quand chacun est libre dans ses opinions religieuses, libre de les propager par la parole, la plume et la presse, le culte n’ajoute à ces moyens de prosélytisme que des lieux de réunion et des cérémonies. Ce n’est pas dans ces actes que se trouvent des périls pour le pouvoir politique. Quelques temples ouverts à la prière, quelques ministres y chantant des hymnes, y portant la parole : y a-t-il là de quoi menacer l’état ?