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laïque. En France, des prétentions à la fois très vieilles et très nouvelles réveillent des passions qu’on pouvait croire éteintes. Le moment est donc opportun pour rechercher si, en effet, notre législation répond aux besoins du temps, n’alarme point les consciences et garantit les droits de l’état, sans attenter à la liberté des fidèles. Cette recherche s’élève au-dessus de la sphère purement administrative ; mais elle se lie si intimement aux attributs du pouvoir en qui l’état se personnifie, que, si elle dépasse les limites de notre cadre, elle n’y est point étrangère.


I

La liberté de conscience est un des droits les plus inviolables de l’humanité. Nul pouvoir terrestre ne trouve accès dans ce sanctuaire, et la loi qui tenterait de le forcer échouerait devant une invincible résistance. Libre dans sa croyance, l’homme est libre aussi de la manifester par des discours, par des écrits, pourvu qu’il n’offense, dans l’expression publique de sa foi, ni les lois de l’état, ni la morale, loi commune des sociétés civilisées. Cette autre liberté est aujourd’hui admise dans presque toute l’Europe ; depuis soixante ans, toutes les constitutions l’ont proclamée en France.

Toutefois, le sentiment religieux ne se renferme point dans des manifestations solitaires. Les hommes se réunissent pour prier ensemble. Une même foi les rapproche, des temples les reçoivent en foule ; des ministres publics s’y font entendre ; des contributions fournies par l’état ou prélevées sur les fidèles subviennent aux dépenses de ces ministres et des cérémonies ; le culte est fondé. Il doit être libre aussi, car comment séparer les croyances des pratiques qu’elles commandent et refuser aux unes les franchises accordées aux autres ? La liberté des cultes n’est contestée, ouvertement du moins au nom d’aucun principe religieux. Il n’y a point aujourd’hui en France de religion qui demande à proscrire les autres et à régner par le glaive ; mais on invoque les intérêts de l’ordre, de la paix publique, et les droits de la société. On craint que, s’il était loisible à tous les citoyens de dresser des autels, de célébrer des cérémonies, d’élever des chaires, on ne pût « ressusciter le paganisme et les turpitudes de sa mythologie, se mettre à célébrer les mystères de la bonne déesse, former des associations semblables à celle des bacchanales, qui émut si fort le sénat romain, » et que « la politique, ses calculs, ses complots ne pussent se glisser sous le manteau religieux[1]. »

Ces argumens étaient déjà présentés en 1789 à l’assemblée constituante.

  1. M. Dupin, procureur-général, conclusions du 12 avril 1838, affaire des protestans de Montargis.