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— Sur plusieurs habitations de la pointe-Coupée, près de Bâton-Rouge (Louisiane), d’honorables propriétaires, en vue de moraliser leurs esclaves, ont déclaré que les enfans provenant de mariages réguliers naîtraient libres. Un certain nombre de noirs se trouvent dans cette position favorable, et cependant pas un ne quitte l’habitation sur laquelle il est né; chacun d’eux au contraire donne son temps et son travail pour la nourriture et le vêtement, habite la case de sa famille et ne songe nullement à revendiquer l’effet des promesses du maître.

Entre le système espagnol et le système américain, la question n’est pas difficile à juger, les faits parlent d’eux-mêmes. Est-ce qu’il a jamais été question aux États-Unis de ces populations souffreteuses, étiolées, à l’œil morne, à la contenance avilie, qui font naître à chaque pas les plus sombres pensées, lorsqu’on parcourt les habitations de l’intérieur de Cuba? Est-ce qu’il n’est pas de notoriété publique que jusqu’ici aucune colonie, soit insulaire, soit continentale, n’avait pu se soutenir sans avoir recours à la traite, à l’exception de la Barbade? Les États-Unis sont venus prouver, par une conduite à la fois humaine, intelligente et raisonnée, qu’après tout la douceur et les soins physiques sont la meilleure des spéculations. Les nègres sur le sol des états à esclaves de l’Union vivent sinon libres, du moins souvent heureux à leur matière, sans souci des biens qu’ils ne connaissent pas ou n’apprécient guère, et ils arrivent sans préoccupations au terme de leur carrière, tandis qu’aux colonies espagnoles rien ne peut donner l’idée d’un semblable bien-être. A quelque point de vue que l’on envisage la question, la condition du noir esclave aux États-Unis est même préférable à celle du noir ou de l’homme de couleur libre. Le nègre né sur l’habitation ou près du foyer de son maître ne comprend pas que la nature lui ait assigné un autre rôle à jouer dans le monde que celui dont il se voit chargé dès sa naissance. Le but qu’il se propose dans le cours de sa vie, c’est l’amélioration de sa condition matérielle. Lorsqu’il est bien traité, il se regarde comme faisant partie de la famille, il s’identifie avec elle, et l’histoire des colonies compte par milliers les traits d’attachement et d’abnégation des esclaves pour leurs maîtres. La position du travailleur noir, une fois acceptée par lui, devient nette et facile, parce que, d’une part, l’obéissance est une chose qui lui semble si naturelle, qu’il ne songe pas à s’y soustraire, et que, de l’autre, le maître, ne voyant jamais contester son droit ni son autorité, se laisse toucher d’ordinaire par les preuves de soumission et de dévouement qu’il recueille. Aux États-Unis, le génie commercial, de concert avec les sentimens d’humanité, démontre l’absurdité des mauvais traitemens infligés aux esclaves par la perspective de la diminution du capital engagé. Il est donc certain que l’état physique de la race noire y est satisfaisant. Dans les colonies espagnoles, la population esclave est au contraire soumise à des chances nombreuses de désertion, de dépérissement ou de mortalité. Le système pratiqué par les Américains du nord est celui d’une surveillance paternelle; celui des Espagnols repose sur l’emploi incessant des moyens de répression. Ne peut-on pas tirer de ce contraste quelques indications sur le caractère de la race noire, sur les lois qui régissent son travail? Insensible aux mauvais traitemens, elle ne résiste pas autant qu’on le croit à l’action d’une autorités bienveillante. C’est là un trait essentiel dont il faut tenir compte avant de