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En Amérique, tout se ressent de l’approche de l’élection présidentielle ; les ministres voyagent ou se retirent des affaires. M. Daniel Webster fait des harangues à Marshfield ; M. Graham, ministre de la marine, a donné sa démission, et il a été assez difficile de lui trouver un remplaçant dans M. Kennedy. M. Abbot Lawrence, ministre des États-Unis à Londres, vient aussi d’envoyer sa démission, désireux qu’il est, dit-on, de revoir son opulent foyer, désireux sans doute aussi de ne pas courir la chance d’être remplacé, si le parti démocratique vient à triompher. Le congrès, qui pendant long-temps a gaspillé nonchalamment les heures, se presse et s’échauffe ; il vote lois sur lois. Une seule question est venue faire diversion à cette inquiétude et à cette agitation générales, la querelle avec l’Angleterre au sujet des pêcheries sur les côtes de l’Amérique anglaise, et encore dit-on que l’élection présidentielle n’est pas tout-à-fait étrangère à cette querelle. Dans une de ses pérégrinations, M. Daniel Webster apprend tout à coup que le cabinet de Londres venait d’envoyer des instructions pour faire respecter par les Américains, trop enclins à les violer, les conventions de 1818. Il écrit précipitamment de New-Haven (Connecticut), où il se trouvait alors, pour en informer le président et le cabinet de Washington. Les réclamations de l’Angleterre sont-elles fondées ? Les griefs imputés aux Américains sont-ils réels ? D’après ce qu’on sait de cette affaire, on peut affirmer que les deux gouvernemens ont tort et raison tous les deux. Évidemment les Américains ont manqué aux conventions, évidemment aussi l’Angleterre aurait pu s’y prendre moins brutalement pour faire valoir ses droits. Cette querelle rappelle tout-à-fait le procès du loup et du renard :

Toi, renard, tu te plains, bien qu’on ne t’ait rien pris,
Et toi, loup, tu retiens ce que l’on te demande.

Le cabinet de lord Derby aurait pu faire notifier, ainsi que l’ont très justement remarqué les journaux américains, qu’à l’avenir il ne permettrait plus cette violation des traités par les pêcheurs des États-Unis, au lieu de faire saisir les bateaux trouvés dans la baie de Fundy et d’envoyer des navires de guerre à vapeur pour intimider des gens peu timides de leur nature. D’ailleurs le traité de 1818 n’est pas aussi facile à interpréter qu’on pourrait le croire au premier abord. Ce traité donne aux Américains le droit de pêcher et de curer le poisson dans les baies, havres, criques inhabités de la côte méridionale de Terre-Neuve et de la côte du Labrador, mais à la condition qu’aussitôt que ces côtes seront habitées, ils renonceront au droit de pêcher, à moins d’un arrangement préalable avec les habitans. Ils s’engagent en outre à ne pas pêcher dans les baies, criques et havres non compris dans ces limites, non plus qu’à la distance de trois milles desdites côtes. Les pêcheurs américains, selon l’habitude de leurs concitoyens, n’ont tenu aucun compte des arrangemens conclus entre les deux gouvernemens. Peu à peu ils ont empiété, voilà qui est bien certain ; mais, s’ils ont empiété, c’est avec la tolérance de l’Angleterre. L’entrée des baies et des havres leur est interdite, la distance de trois milles est exigée ; mais comment mesurer cette distance de trois milles ? L’Angleterre répond en tirant une ligne du point le plus extrême