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politique. La société y peut puiser ses enseignemens, le gouvernement lui-même y peut trouver les siens. Au milieu de cet entassement de sophismes, de déclamations laborieuses, de bizarreries de dialectique, d’odieux blasphèmes, il y a plus d’un éclair qui illumine notre situation. Qui pourrait avouer plus naïvement que la révolution de février a créé « la plus immense anarchie dont l’histoire fournisse l’exemple ? » Qui a plus de mépris pour la multitude, et qui confesse de meilleure grâce que « rien n’est moins démocrate au fond que le peuple ? » Il n’y a enfin que M. Proudhon pour écrire ces paroles adressées à ce qu’il appelle le 2 décembre : « qu’il abandonne aux gémonies de l’opinion ces gentillâtres littéraires dont le souffle vénal, pestilentiel, enfle la voile de toute tyrannie ; qu’il livre aux francs-juges de la démocratie la plus pourpre tous les renégats dramaturges de cour, pamphlétaires de police, marchands de consultations anonymes, moutons de prisons et de cabarets, qui, après avoir mangé le pain sec du socialisme, lèchent les plats gras de l’Elysée… »

C’est ainsi que va ce terrible esprit, embrassant frénétiquement le paradoxe, outrageant la vérité, frappant ses amis de verges sanglantes, poursuivant le bruit à tout prix, et offrant du moins cet avantage de mettre sur la voie de la sagesse par le spectacle de ses aberrations et de ses folies. Quant à la partie prophétique du livre de M. Proudhon, nous nous croyons, à coup sûr, suffisamment dispensés de la discuter, elle est pour le moins au niveau des horoscopes magnétiques de M. Alexandre. Dumas sur M. le comte de Chambord, dont l’itinéraire à sa rentrée en France est déjà tracé, et qui doit renouveler la tige royale par une alliance avec une fille du peuple de la rue Saint-Martin. Nous voici donc merveilleusement en fonds de solutions et d’horoscopes. Si la France périt, ce ne sera pas faute de moyens de salut ; elle n’a qu’à choisir, sans compter le reste, entre les perspectives socialistes de M. Proudhon et le roi Léon Ier de M. Alexandre Dumas. Il ne faudrait point s’y tromper : avec un caractère différent, sérieux ou bouffon, tout cela se ressemble peut-être assez bien. Dans tous les cas, n’y aurait-il pas un curieux chapitre, d’histoire morale et littéraire à écrire, — d’un côté, sur les privilèges particuliers que peut conférer parfois l’extravagance, — de l’autre, sur les inconvéniens qu’il peut y avoir pour certains esprits à se mettre dans la mauvaise compagnie de tous les inventeurs de solutions ?

La littérature d’allusions n’est point à coup sûr la meilleure ; le malheur de notre temps, c’est que cette recherche d’un intérêt vulgaire, cet incessant appel à une curiosité frivole ou passionnée n’est qu’une des formes de l’altération de l’esprit littéraire. C’est une preuve de plus du peu de place qu’occupe aujourd’hui dans le domaine intellectuel la réalité, la vérité observée en elle-même et pour elle-même. Le mépris de toute vérité, de toute réalité dans l’expression des idées et des sentimens, dans la reproduction de la vie humaine, est un des signes contemporains. On peut suivre à la trace ce triste symptôme dans le roman comme au théâtre, dans l’histoire comme dans la poésie, et c’est une des principales causes de l’épuisement où en est venu par degrés l’esprit littéraire. Que voyez-vous, en effet, aujourd’hui ? Des efforts, des tentatives, des ébauches plutôt que des œuvres où la vie respire et palpite. L’intelligence se débat entre toutes les influences. L’inspiration poétique