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plus évident. Voilà pourtant ce que paraissent ignorer les statuaires de notre temps qui se donnent pour les disciples de Puget. Quand ils ont moulé le torse et les membres du modèle, et mis au point cette reproduction où l’intelligence ne joue aucun rôle, ils s’imaginent volontiers qu’ils ont touché les dernières limites de l’art. Ils s’applaudissent d’avoir mis dans le marbre tout ce que le plâtre a surpris sur la chair. S’ils avaient étudié sérieusement le maître dont ils se vantent d’avoir suivi les leçons, ils sauraient que Puget n’a jamais vu dans l’imitation pure le dernier mot de la statuaire. Les arts du dessin relèvent de l’intelligence, de la réflexion, du raisonnement aussi directement que la science du monde extérieur, ou la science même de la pensée. Si les idées que la couleur et la forme peuvent nous révéler sont moins nombreuses, moins variées que les idées dont se compose la science proprement dite, il faut reconnaître que les artistes vraiment dignes de ce nom n’ont acquis une gloire solide qu’en appelant la méditation à leur secours. Sans la méditation, le statuaire le plus habile ne sera jamais qu’un ouvrier. Puget, qui avait commencé son apprentissage dans l’atelier d’un sculpteur en bois, et qui semblait condamné par sa pauvreté à demeurer dans une condition subalterne, Puget n’a pas négligé la méditation, et c’est par la méditation qu’il s’est élevé au-dessus de ses contemporains. Ne voir dans ses œuvres que l’imitation de la réalité, c’est ne pas les comprendre. S’il est grand et illustre, ce n’est pas seulement parce qu’il maniait le ciseau d’une main habile, c’est aussi et surtout parce qu’il a pensé avant de modeler. L’art matérialiste ne sera jamais qu’un art incomplet et impuissant. Toute l’histoire est là pour le démontrer. L’œil le plus pénétrant, le ciseau le plus adroit ne pourront jamais se passer du travail de l’intelligence. Puget ne l’ignorait pas, et toutes ses œuvres nous le prouvent. Il faut donc leur restituer leur vrai sens, et c’est ce que j’ai tâché de faire. La pensée exprimée par la forme, tel a été le vœu de toute sa vie : c’est là, selon moi, la vraie signification de ses travaux. Combien y a-t-il de statuaires parmi nous qui aspirent aussi haut ?


GUSTAVE PLANCHE.