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présenté au roi, comblé d’éloges, il reçut des mains de Louis XIV une médaille d’or portant d’un côté l’effigie royale et de l’autre ces deux mots : Publica Félicitas. Louis XIV aimait à se louer lui-même et n’attendait pas qu’on le remerciât de la prospérité publique. Toutefois, malgré toutes ces preuves de bienveillance, Puget ne put obtenir l’exécution du contrat passé avec les échevins de Marseille, et Clérion, qui l’avait supplanté, ne fut pas plus heureux. Nous devons d’autant plus regretter la mésaventure de Puget en cette occasion, que la statue de Louis XIV n’eût pas manqué de nous montrer son savoir sous un aspect nouveau. Le cheval devait être lancé au galop et, si les lois de la statique l’eussent exigé, soutenu par des figures de nations vaincues. L’esquisse en terre cuite de cette œuvre colossale se conserve encore en Provence dans le cabinet d’un amateur éclairé. Après avoir construit dans le quartier des Acoules la halle aux poissons dont il avait obtenu l’adjudication pour 8,300 livres, et qui porte aujourd’hui son nom, après avoir sculpté pour la façade de l’hôtel-de-ville les armes de France accostées de deux anges, il passa les dernières années de sa vie dans la retraite entouré de ses amis. Il avait construit pour sa famille une maison d’un style sévère dont la façade était ornée du buste du Christ. Au-dessous du buste se lit cette inscription dont Puget paraît avoir l’ait sa devise : « Nul bien sans peine. »

Telle est la vie de cet artiste éminent, dont il nous reste à examiner les œuvres. C’est là, comme on le voit, une vie pleine d’épreuves. Puget n’a jamais connu la richesse, et la statue équestre de Louis XIV, lors même qu’il l’eût exécutée au prix convenu, ne lui aurait pas donné dix arpens d’oliviers, car, pour 150,000 livres, il s’était engagé à livrer la statue fondue, et le cheval devait avoir vingt pieds du sabot au garrot. Ceux qui connaissent le prix de la main-d’œuvre savent ce qu’il aurait gagné dans l’accomplissement d’un tel marché. Mais il a connu la gloire, et ce que disent plusieurs biographes de l’indifférence de ses contemporains ne s’accorde guère avec les traits que j’ai rapportés. Il avait conscience de sa valeur et n’hésitait jamais à parler de lui-même avec une noble fierté. Un jour que Louvois s’étonnait du prix qu’il avait demandé pour une de ses œuvres, et ajoutait d’un ton railleur : Pour ce prix-là, le roi aurait un général, il répondit : « Le roi n’aura pas de peine à trouver un général parmi les excellens officiers qu’il possède dans son armée, mais le roi ne peut faire un second Puget. » Lorsqu’il vint solliciter à Versailles l’exécution du contrat passé avec les échevins de Marseille, Mansart lui offrait la préférence, s’il voulait accepter les conditions proposées par Clérion. « Me comparer à Clérion ! s’écria Puget, y pensez-vous ? Il n’y a que deux hommes à qui vous puissiez me comparer : l’Algarde et Bernin. » Est-il probable