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donner une part de votre amitié. L’affection d’une personne de vertu comme vous m’est plus chère que celle des personnes les plus qualifiées de notre cour. » Telles sont les expressions rapportées par le père Bougerel. Le roi était si enchanté du Milon, qu’il chargea Louvois d’écrire à l’auteur pour lui demander quelque nouvelle figure qui pût servir de pendant et en même temps de savoir son âge. La réponse de Puget est pleine à la fois de grandeur et de naïveté. Il commence par décrire en quelques lignes son groupe d’Andromède et Persée. Il parle de ses projets pour l’embellissement de Versailles, d’un Apollon colossal de trente-huit pieds de haut qui devait se tenir debout sur des rochers couverts de tritons et de néréides. « Toutefois, ajoute-t-il, avant de rien décider sur la valeur et l’avenir de ces projets, il convient d’attendre l’achèvement de mon Andromède. Alors, je l’espère, vous serez plus facilement persuadé de ma suffisance. » Il ne dit rien des œuvres dont il avait enrichi les églises de Gênes. Répondant à la question de Louvois sur son âge, il ne peut se défendre d’un mouvement d’orgueil que personne n’osera condamner : « J’ai soixante ans, monseigneur, mais j’ai des forces et du courage pour servir encore long-temps. Je suis nourri aux grandes œuvres, et je nage quand j’y travaille. Pour gros que soit le bloc, il tremble sous mon ciseau. » L’Andromède fut terminée en 1685 et présentée à Versailles par le fils de l’auteur, François Puget. Louis XIV, qui savait distribuera propos les éloges, rendit pleine justice à l’œuvre nouvelle. « Votre père, monsieur, dit-il à François, est grand et illustre. Il n’y a pas un artiste en Europe qui puisse lui être comparé. » Il n’y avait rien d’exagéré dans ces louanges. Malheureusement la générosité du monarque ne répondait pas à l’éclat de ses paroles. Les 15,000 livres données pour l’Andromède couvrirent à peine les déboursés ; et le placet, présenté par le statuaire sept ans plus tard, où il exposait l’insuffisance d’une telle rémunération, demeura sans réponse. Cependant le roi, qui aimait sincèrement le talent de Puget, lui demanda son bas-relief d’Alexandre et Diogène, dont l’esquisse avait été vue par Lenôtre comme l’ébauche du Milon. Ce bas-relief fut terminé en 1688. Puget n’avait pas encore mis les pieds à la cour, lorsqu’un projet de décoration pour Marseille, accueilli d’abord, puis refusé, l’obligea de quitter sa patrie pour demander justice. Il s’agissait d’une statue équestre de Louis XIV dont Puget avait donné le modèle et qu’il devait exécuter dans des proportions colossales. Déjà le contrat était passé et le prix du travail arrêté à 150,000 livres, lorsqu’un sculpteur obscur, Clérion, dont le nom ne serait pas venu jusqu’à nous sans cette circonstance, offrit un rabais de 12,000 livres. Les échevins déchirèrent le contrat passé avec Puget, et l’artiste, indigné de leur mauvaise foi, partit pour Versailles. Accueilli avec empressement par toute la cour,