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que distingués. Parmi ceux qui ont mérité de fixer l’attention, un seul me semble donner quelques promesses, c’est M. Hermann de Béquignolles, auteur de deux poèmes récemment publiés. Le premier de ces poèmes, Hilarion, paru en 1849, est à la fois une contre-partie du Faust de Goethe et une imitation du Livre de Job. Comme le héros du poète de Weimar, Hilarion a étudié toutes les sciences dont l’esprit humain est fier, et il reconnaît combien elles sont impuissantes à résoudre le problème de la destinée ; seulement, au lieu de se donner au diable, il a pris le parti beaucoup plus sage de se donner à Dieu. De cette idée toute simple, l’auteur tire de beaux effets ; cette manière hardie de réformer la légende de Faust a vraiment quelque chose de poétique ; on dirait qu’un charme fatal est rompu. Satan essaie en vain de désespérer Hilarion. Hilarion voit triompher la démagogie du XIXe siècle, il voit périr dans une émeute sanglante le roi dont il est le serviteur dévoué, ses amis l’abandonnent, sa femme le trahit, son fils même lui jette des paroles de malédiction ; soutenu par sa confiance dans l’éternelle bonté, Hilarion défie encore Satan. « Malgré toutes mes souffrances, lui dit-il, ma conscience est dans la joie ; tu peux m’arracher tout ce que j’aime, tu ne m’enlèveras pas la paix. » Cette image de la force invincible de l’ame au milieu de nos tragiques bouleversemens est exprimée par le poète avec une certaine grandeur. Et puis l’esprit ne manque pas dans maintes scènes ; la conférence des journalistes et des tribuns sous la présidence d’Hilarion est une satire pleine de verve. Le second poème de M. de Béquignolles, publié l’année dernière, est beaucoup moins heureux. Ce qu’il y a de plus intéressant peut-être, c’est la dédicace à M. Oscar de Redwitz :


« Parce que nous confessons librement le christianisme, notre bouclier ; parce qu’à nos yeux la gloire de notre sainte foi est supérieure à tout ;

« Parce que nous croyons, en toute pureté de cœur, à l’honneur de la femme, et que nous n’avons pas encore courbé le dos sous le joug moderne ;

« Parce que nous sommes saintement et ardemment dévoués à notre ami ; parce que c’est notre plus grand bonheur de l’assister dans la souffrance et dans la joie ;

« Parce que nous ne refusons pas le respect au vieillard ; parce que nos pas nous conduisent dans l’assemblée des hommes vénérables ;

« Parce que notre poésie ne s’est pas mise au service des cyniques passions de ce monde ; parce que, les yeux levés vers les étoiles et enchaînés par leur lumière, elle a placé son but dans le ciel ;

« Les méchans, troupe hideuse, dardent contre nous, en sifflant, leurs langues chargées de poison et d’écume, et si l’un d’eux, si le plus vil réussit à nous diffamer, ils jettent tous des cris de joie.

« Sifflez ! diffamez ! un jour, ce sera cette école de fidèles chanteurs qui sauvera notre société, — la société allemande, — récemment réconciliée avec son antique gloire, et qui commence à faire flotter ses jeunes voiles.