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composa la meilleure partie de son poème. Il a décrit lui-même le tranquille bonheur de ces jours privilégiés dans une introduction ajoutée à la deuxième édition de l’ouvrage. Le titre de la pièce est le Retour d’Amaranthe. Le poète, en se séparant de son œuvre, avait envoyé avec confiance sa simple et chaste héroïne au milieu de la société bouleversée, et il la voit revenir toute joyeuse dans la vallée des sapins :

« Je m’appuie silencieusement à la fenêtre cintrée, dans la vieille et solitaire métairie tout environnée d’une noire forêt de sapins, et je contemple au dehors les spectacles de l’automne. Nul bruit de rues qui trouble ma rêverie ; je n’entends que les feuilles sur les murailles tapissées de vignes qui craquent au souffle léger du vent. Du côté de la forêt, à l’extrémité des bruyères, le brouillard s’enveloppe de ses voiles blanchâtres, et là-haut, au milieu de nuées grises qui se pressent, navigue gravement une troupe de grues. C’est l’automne. Que m’importe ? dans ces murs solitaires, le printemps reste épanoui pour moi avec ses splendeurs, ses parfums et sa paix. En vain je vois tomber l’une après l’autre les feuilles desséchées ; ici, une petite fleur cachée continue de fleurir pour moi. Si les oiseaux se taisent, je me chante à moi-même mes chansons. Pour le chanteur, il n’y a jamais d’hiver ; aussitôt qu’un printemps est fini, un nouveau printemps recommence.

« Tout à coup on frappe doucement à ma porte. — Entrez !… béni soit le ciel ! c’est toi ! Dieu te ramène à moi si promptement ! ô Amaranthe, c’est toi, ma fille ! — et soudain embrassemens, longs baisers, pleurs de joie qu’on ne peut retenir. — Eh bien ! chère fille, parle vite, quelle a été la destinée dans le monde ? — Alors elle me tient embrassé avec une grâce enfantine, elle me regarde en souriant, puis son visage, peu à peu devient grave, et elle me dit : « Fidèle aux recommandations que tu m’as faites en me bénissant au départ, protégée par ton bouclier et ton glaive, je suis allée, dans le vaste monde. Partout où je dirigeais mes pas dans les contrées allemandes, la tempête furieuse mugissait ; mais j’avais la confiance d’un enfant, et, comme tu me l’avais ordonné, je traversais la tempête. Les places, les rues retentissantes, c’était mon devoir de les éviter avec soin ; mais, dès que je trouvais une maison silencieuse, je frappais et demandais à entrer. Alors plus d’une main chère et loyale m’introduisait au sein de la demeure. Là je donnais d’abord tes complimens de bienvenue aux femmes, aux femmes allemandes, aux pieuses créatures. Puis j’illuminais les chastes regards des clartés du pur amour, je faisais couler des yeux des mères de douces larmes de tendresse. Si un cœur honnête était malade de ses illusions perdues, j’étais heureuse de le rafraîchir avec les souffles de la forêt. Plus d’une ame m’a remerciée des heures toutes divines dont je l’ai fait jouir avec mes chants ; plus d’un jeune homme, le cœur plein, m’a chargée pour toi de ses saluts… »

L’écrivain qu’un succès si complet a autorisé à parler de la sorte se peint ici lui-même avec cette naïveté cordiale qui est le charme de ses vers. Cette chaste figure, si enfantine et cependant si résolue, qui a parcouru l’Allemagne à travers la mêlée révolutionnaire et y a semé tant de bonnes pensées, c’est bien la ressemblante image de sa poésie.