Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doublaient par économie le cap Horn, ou prenaient, dans leur impatience, le chemin plus court, mais aussi plus dispendieux de l’isthme de Panama, allant à la conquête de la toison d’or, ces trésors, dont ils s’exagéraient le prix, s’avilissaient déjà outre mesure en Europe : ce qu’il y avait de plus positif et de plus précieux au monde six mois plus tôt semblait relégué, pour un terme prochain, dans le domaine des chimères. À l’auromanie de toutes les époques succédait, parmi les peuples les plus civilisés, une sorte d’aurophobie.

C’est la Grande-Bretagne qui, la première, a fait face à la déroute. Pendant que le commerce continental s’effrayait à l’idée d’un accroissement considérable dans l’importation de l’or, la banque d’Angleterre n’a pas craint de chercher à contenir l’exportation. Au commencement de l’année 1851, elle a porté de 2 et demi à 3 pour 100 le taux de l’escompte, et presque aussitôt le change s’est relevé : la livre sterling, qui était tombée un instant à 24 fr. 70 cent., soit de 2 pour 100, est remontée en peu de jours à 24 fr. 95 cent. ; elle oscille aujourd’hui entre 25 fr. 35 cent, et 25 fr. 45 c., ce qui représente une prime de demi à trois quarts pour 100. Ce n’est pas tout, la monnaie de Paris, qui recevait l’or par millions en décembre 1850 et en janvier 1851, a vu ce mouvement se ralentir dès le printemps de 1851, au point que ce qui lui avait d’abord été apporté en un jour ne lui venait plus en une semaine. À cette époque, les oscillations du marché paraissaient avoir atteint leur terme, le calme rentrait dans les imaginations, et les valeurs monétaires se rapprochaient de leur niveau légal. Le moment semblait donc plus propice pour examiner si la perturbation à laquelle on venait d’assister tenait à des accidens passagers ou à des causes durables.

Sur cette difficulté, qu’il avait d’abord paru disposé à trancher sans préparation et sans délai, le gouvernement français n’a pas tardé à comprendre qu’il y avait lieu de se livrer à des études plus approfondies. On lit, en effet, dans le Moniteur du 15 janvier 1851 : « La commission formée par arrêté du 14 décembre et présidée par M. Fould, ministre des finances, pour examiner la question des monnaies, a reconnu que la dépréciation récente de l’or a été principalement produite par des causes accidentelles dont l’action commence à se ralentir, que l’influence que des causes permanentes pourraient avoir exercée sur cette dépréciation ne saurait être aujourd’hui suffisamment déterminée, que dans cet état de choses il est nécessaire de réunir des informations précises sur la production des métaux précieux, principalement en Californie et en Russie. En conséquence, la commission a été d’avis que, d’après les faits constatés, il n’y avait lieu d’apporter aucune modification à notre régime monétaire. »

Cette détermination était sage, et l’événement n’a pas tardé à la justifier.