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une heure avec quelqu’un que vous ne connaissez pas et dont vous ne vous souciez pas, à lui parler du vent et du temps qu’il fait, à lui adresser mille sottes questions qui toutes commencent par : « Je pense que vous vivez beaucoup à la campagne » ou « je pense que vous n’aimez pas ceci ou cela. » Oh ! c’est épouvantable ! — Je vous dirai ce qui est délicieux, — le Dominiquin ! Mon cher monsieur, si jamais il y eut un Dominiquin, si jamais il y eut un tableau original, celui-là en est un. Je suis parfaitement heureux, car mon père en est aussi transporté que moi ; il l’a fait suspendre dans la galerie où sont tous ses tableaux les plus capitaux, et lui-même convient que celui-là les bat tous, excepté les deux Guide. »

Il s’agit d’un tableau que Mann avait envoyé d’Italie[1] et qu’Horace donnait à son père. Il s’efforçait de lui inspirer ou de lui supposer ses goûts. À Houghton, il fit une fois un sermon sur la peinture et le prêcha devant le comte d’Orford et son chapelain, homélie composée pour la conversion des incrédules sur ce texte : « Ils ont des yeux et ils ne voient point, » et bientôt après (août 1743) il écrivit et dédia à son père, sous le titre d’Ædes Walpolianœ, une description de Hougton-Hall et des collections qu’on y admirait : c’est un catalogue raisonné, entremêlé de réflexions et de citations, dans le genre des ouvrages qu’il avait lus en Italie, sur les palais et les galeries célèbres de Rome, de Venise et de Florence. La collection de Walpole n’existe plus en Angleterre ; elle fut vendue en 1780 par son petit-fils, qui était fou et ruiné, au grand désespoir de son fils, qui eût mis à la conserver son orgueil de famille. L’impératrice de Russie l’acheta 45,000 livres sterling ; elle contenait de très belles choses, peut-être l’original de la Joconde de Léonard de Vinci.

Les Ædes Walpolianœ ne peuvent plus guère intéresser que ceux qui s’occupent de l’histoire des ouvrages de l’art ; mais la préface mérite encore d’être lue : elle contient quelques vues sur les destinées de la peinture depuis l’antiquité et une appréciation des écoles principales et des grands maîtres dans les temps modernes. On peut ne pas souscrire à tous les jugemens de l’auteur : on peut le trouver injuste pour Michel-Ange qu’évidemment il ne sent pas, trop enthousiaste de Carlo Maratti et des Carrache, trop prévenu en faveur du Guide et de l’école de Bologne, trop sévère pour Andréa del Sarto, et même pour l’école hollandaise ; mais ce qu’il dit de Raphaël, du Corrége, du Titien, de Lesueur, de Claude Lorrain, peut se dire encore, et les connaisseurs aimeront à discuter cette conclusion :

« Je puis admirer la grâce et le fini exquis du Corrége, mais je ne puis fermer les yeux sur son dessin fautif et contourné. J’admire la grâce plus

  1. La Vierge et l’enfant Jésus. Les deux Guide étaient une Adoration des Bergers et une Assemblée de docteurs de l’église discutant l’immaculée conception. Voy. Ædes Walp., Orford’s Works, t. II.