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— Vous vous trompiez, interrompit le Français. Votre fille allait bien réellement épouser Marco, lorsque vous l’avez envoyé quérir. Ce très haut seigneur albanais et ce très honorable seigneur dalmale sont venus ici pour témoigner en faveur de Digia. Il est étrange qu’un père ne sache pas reconnaître par lui-même la vérité sur une telle question. Il faut qu’on vous ait abusé. Nous voulions tous du bien à votre fille. Vous nous avez privés du plaisir de la marier.

— Je lui ai trouve un autre mari, dit le père, reprenant un peu d’assurance.

— Oui, poursuivit l’ingénieur, François Knapen, n’est-ce pas ? C’est lui qui vous a excité à maltraiter votre fille ; c’est lui qui l’a calomniée.

Magari ! murmura Dolomir, plût à Dieu qu’il l’eût calomniée !

— Vous avez la tête dure, à ce que je vois. Et vous, Digia, comment ne protestez-vous point ?

— Hélas ! s’écria la jeune fille en pleurant, je ne fais autre chose du matin au soir ; mais ce Knapen a ensorcelé mon père.

— Ensorcelé, ajouta la vieille mère, c’est le mot exact.

— Nous briserons le sortilège, reprit l’ingénieur. Qu’on cherche Knapen et qu’on l’amène devant moi.

— Me voici, dit le jeune Croate, qui se tenait caché derrière la porte du cellier. Knapen entra et regarda l’ingénieur d’un air insolent.

— Avancez, monsieur, lui dit l’ingénieur français. Nous allons vous prouver que vous avez mal agi et porté le désordre dans cette famille.

— Je suis curieux de voir cela.

— Rien n’est plus facile. Si l’on vous proposait en mariage une fille perdue de mœurs, l’épouseriez-vous ?

— Non, monsieur, répondit Knapen.

— Comment appelleriez-vous celui-là qui prendrait pour compagne ; de toute sa vie la maîtresse d’un autre ?

Le Croate sentit le coup trop tard ; il garda le silence.

— Nous l’appellerions tous un homme vil, poursuivit l’ingénieur. Eh bien ! monsieur, de deux choses l’une : ou vous avez trompé Dolomir et calomnié sa fille, ou vous êtes cet homme que je viens de qualifier, puisque vous recherchez la main de Digia. Qu’avez-vous à répondre ?

François Knapen, déconcerté, lança un regard de colère à l’ingénieur français.

— Lorsqu’on aime, dit-il en hésitant, on passe sur bien des petites choses…

— Ce n’est point une petite chose, interrompit l’ingénieur, que la réputation d’une jeune fille. Voulez-vous que je vous dise sur quelle chose vous avez passé ? Par amour et par jalousie, vous avez employé de mauvais moyens d’atteindre votre but et d’écarter un rival. Vous