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LA PAGOTA


SCÈNES DE LA VIE VÉNITIENNE.

I.

Il n’est point de touriste en Italie qui n’ait regardé avec plaisir les porteuses d’eau de Venise courant au pas gymnastique, d’un air preste et affairé, sur les dalles de la place Saint-Marc. Quoiqu’elles parlent un dialecte peu différent du vénitien, on voit bien, à leur costume pittoresque, à leur petite taille, à leurs traits délicats, qu’elles ne sont point de la race antique des Venètes. On les appelle Bigolante ou Pagote. Le premier de ces deux noms tient à leur métier, le second au pays d’où elles viennent. Pago est une île froide et stérile de l’Adriatique, située le long des côtes escarpées de la Croatie. Dans toutes les grandes villes, certaines industries sont exercées par des étrangers à qui la force de l’usage donne une sorte de privilège. C’est ainsi qu’à Paris la Normandie envoie des nourrices, la Bourgogne des bonnes d’enfans, et l’Auvergne des charbonniers. À Venise, la profession de porteuse d’eau appartient presque exclusivement aux filles de Pago. Du fond de l’archipel dalmatique, elles viennent gagner leur dot, et se dépêchent de servir le bourgeois vénitien pour retourner se marier dans leur pays, où leurs fiancés les attendent. Assurément, il faut qu’elles portent bien des mètres cubes d’eau pour amasser de quoi faire un trousseau, car on ne leur paie qu’un sou par voie, et encore le sou vénitien ne vaut que trois centimes ; mais leurs seaux de cuivre sont petits, on peut aller bien des fois à la citerne dans une matinée, et puis les garçons de Pago n’exigent point qu’une fille soit aussi riche qu’une héroïne du Gymnase.

Pendant l’été de 1845, qui fut pluvieux et froid en France, il faisait