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à cette princesse tant de sentimens si creux et si faux. Comme il avoit un pouvoir fort grand sur elle, et que d’ailleurs il ne pensoit guère qu’à lui, il ne la fit entrer dans toutes les intrigues où elle se mit que pour pouvoir se mettre en état de faire ses affaires par ce moyen. »

Mme du Motteville, qu’il ne faut jamais se lasser d’étudier et de citer quand on veut connaître et établir la vérité, après avoir marqué le motif principal qui fit rechercher Mme de Longueville à La Rochefoucauld, ajoute : « Dans[1] tout ce qu’elle a fait depuis, on a connu clairement que l’ambition n’était pas la seule, qui occupoit son ame, et que les intérêts du prince de Marcillac y tenoient une grande place. Elle devint ambitieuse pour lui, elle cessa d’aimer le repos pour lui, et, pour être sensible à cette affection, elle devint trop insensible à sa propre gloire Les vœux du prince de Marcillac, comme je l’ai dit, ne lui avoient point déplu, et ce seigneur, qui étoit peut-être plus intéressé qu’il n’étoit tendre, voulant s’agrandir par elle, crut lui devoir inspirer le désir de gouverner les princes ses frères… »

Enfin Retz, qui a parfaitement connu tous les acteurs et toutes les actrices de la Fronde, et qui, sur cette époque, mérite, non pas du tout d’être cru sans réserve, mais d’être sérieusement écouté, termine le plus charmant éloge de Mme de Longueville par ces mots tant de fois répétés et qui contiennent le jugement véridique de la postérité : « Comme sa passion l’obligea de ne mettre la politique qu’en second dans sa conduite, d’héroïne d’un grand parti elle en devint l’aventurière[2]. »

Ou bien il faut renoncer à toute critique historique, ou de ces témoignages accumulés, et que nous aurions pu grossir encore de toute sorte de passages analogues, il faut tirer cette conclusion : 1° qu’avant sa liaison avec La Rochefoucauld, Mme de Longueville resta entièrement étrangère à toute intrigue politique ; qu’elle ne fut occupée que de bel-esprit et de galanterie, se laissant conduire absolument dans tout le reste par son père et par son frère ; 2° que ce n’est pas elle, comme on ne cesse de le répéter, qui jeta La Rochefoucauld dans la Fronde ; que, loin de là, c’est La Rochefoucauld, et La Rochefoucauld seul, qui peu à peu l’y engagea, de dessein prémédité et par intérêt ; 3° que la conduite de Mme de Longueville dans la Fronde doit être rapportée à La Rochefoucauld qui la gouvernait, et que la seule chose qui soit bien à elle est le caractère qu’elle déploya quand l’intrigue devint une tempête, quand il fallut payer de sa personne, jouer son honneur, son repos, sa fortune et sa vie, retenant encore sous la main d’un autre ce qu’elle ne pouvait jamais perdre, la hauteur de l’ame et la brillante énergie de la sœur du grand Condé.

  1. Mémoires t. II, p. 15.
  2. Mémoires, t. Ier, p. 219.