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prit parti pour Job contre Uranie dans un sonnet où il n’hésite pas à dire que celui de Voiture est sans doute mieux rêvé, mieux conduit, mieux achevé, mais qu’il voudroit avoir fait l’autre. Il revient à la charge dans une épigramme ainsi terminée :

L’un nous fait voir plus d’art et l’autre plus de vif ;
L’un est le mieux peigné, l’autre le plus naïf ;
L’un sent un long effort et l’autre un prompt caprice ;
Enfin l’un est mieux fait et l’autre est plus joli.
Et, pour te dire tout en somme,
L’un part d’un auteur plus poli,
Et l’autre d’un plus galant homme[1].

C’était là un suffrage bien imposant, et c’en était fait, ce semble, de Voiture, quand Mme de Longueville entreprit sa défense. Sa situation était quelque peu embarrassante. Son frère, le prince de Conli, était à la tête des Jobelins, et Esprit, qui l’avait accompagnée à Munster, et sur lequel elle aurait cru pouvoir compter en toute occasion, Esprit, qui, sans cesser d’être d’église, s’occupait alors de la littérature la plus galante, comme un jour chez Mme de Sablé il s’occupera de sentences et de maximes, avait très vivement écrit en faveur de Benserade ; mais Mme de Longueville n’était pas femme à passer du côté de la fortune et à abandonner son vieil ami Voiture. Son autorité changea bientôt la face du combat.

Dans le camp des Jobelins était une dame d’honneur de la reine Anne, la comtesse de Bregy, femme d’un ambassadeur renommé, dont nous avons un recueil[2] de prose et de vers, et des Questions d’amour auxquelles Quinault répondit par ordre du jeune roi. Elle fut bien surprise en apprenant que Mme de Longueville préférait au sonnet universellement applaudi une pièce de vers qui n’avait pas produit un fort grand effet. Elle se hâta de lui écrire, pour lui demander la permission de soutenir son opinion contre la sienne. Voici cette lettre, et la diplomatique réponse de l’ambassadrice de Munster :

MADAME DE BRÉGY A MADAME DE LONGUEVILLE.

« Job, dans les siècles passés, ne fut guère plus humilié que je le suis aujourd’hui d’apprendre que j’ay pu me trouver contraire à l’opinion de votre altesse ; car, si je n’avois pas assez de sens pour m’y rendre conforme, mon esprit de divination devoit servir l’autre en cette rencontre, et ne lui pas laisser la honte de se voir opposé à des sentiments que j’ay toujours reconnus pour une règle, avec laquelle on ne sçauroit faillir. Mais, puisque j’ay pris la cause de Job, plus malheureux parce qu’il souffre de vous que par tous ses premiers maux, trouvés bon, madame, que je vous demande la soirée du jeudy pour

  1. Oeuvres diverses, édit. de 1740, Amsterdam, p. 162-165.
  2. Les Œuvres galantes de madame la comtesse de B., Paris, in-18, 1666.