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les pièces de ce petit procès littéraire ; mais nous en avons retrouvé quelques-unes, jusqu’ici ignorées, que nous ne pouvons nous dispenser de mettre sous les yeux du lecteur, parce qu’elles montrent la passion que l’on avait alors pour les choses de l’esprit, l’ascendant de Mme de Longueville et la délicatesse particulière de son goût.

Voiture venait de mourir en 1648, et ses amis avaient recueilli, comme le dernier soupir de sa muse, le sonnet à Uranie. Il paraissait en même temps un autre sonnet d’un des rivaux de Voiture, plus jeune que lui, et qui n’avait pas été formé à l’hôtel de Rambouillet : c’était la plainte d’un amant qui se prétendait plus malheureux que Job, en ce que Job pouvait au moins gémir tout haut de son mal, tandis que le pauvre amant était réduit à souffrir en silence :

Job de mille tourments atteint
Vous rendra sa douleur connue,
Et raisonnablement il craint
Que vous n’en soyez point émue.

Vous verrez sa misère nue ;
Il s’est lui-même icy dépeint :
Accoutumez-vous à la vue
D’un homme qui souffre et se plaint.

Bien qu’il eût d’extrêmes souffrance,
On voit aller des patiences
Plus loin que la sienne n’alla.

Il souffrit des maux incroyables ;
Il s’en plaignit, il en parla :
J’en connois de plus misérables.

Tout ce qu’il y avait d’amoureux à la mode, tous les languissans et les mourans du jour trouvèrent admirable de peindre ainsi son martyre, le comble du déplaisir étant de souffrir sans oser se plaindre, et il est certain que la fin du sonnet de Benserade n’est ni sans esprit ni sans agrément. Il fit fureur. Le sonnet de Voiture avait un tout autre caractère. Il était de l’élégance la plus parfaite, un peu molle il est vrai, mais relevée et animée d’un certain accent passionné qui, sans éclater dans aucun trait particulier, se fait partout doucement sentir. Il était d’une qualité plus distinguée et plus rare ; aussi eut-il d’abord moins de succès. Balzac[1] a composé sur ces deux petites pièces toute une dissertation en forme, où il pèse dans la balance de la plus scrupuleuse critique les mérites et les défauts de l’une et de l’autre. Corneille, importuné d’une querelle qui détournait un peu trop l’attention de ses ouvrages, commença par se moquer des deux sonnets ; puis, l’affaire intéressant de plus en plus toute la littérature, il y entra lui-même et

  1. Œuvres de Balzac, in-folio, t. II, p. 580-594.