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de ses deux chefs, Chabot et Arnauld[1]. C’en était fait de l’armée tout entière, si, au lieu de s’amuser à poursuivre les fuyards et à piller les bagages, Jean de Wert se fût jeté sur les derrières de notre centre à moitié détruit, pressant notre aile gauche entre ses escadrons victorieux et la division encore intacte du général Gleen. Cette faute et la mort de Mercy sauvèrent Condé, parce qu’il sut en profiter avec une promptitude incomparable. Il vit qu’après avoir perdu son aile droite, sa réserve et une grande partie de son centre, tenter de faire sa retraite avec son aile gauche était une opération en apparence prudente, en réalité téméraire devant un ennemi qui avait encore de grandes masses d’infanterie, beaucoup d’artillerie et une cavalerie redoutable, qu’il valait donc mieux maintenir le combat, et qu’en s’exposant à périr il était possible de vaincre. Ce coup d’œil rapide d’une ame forte qui saisit et embrasse l’unique moyen de salut, quelque périlleux qu’il soit, est le trait caractéristique du génie de Condé. Tout blessé qu’il était, harassé de fatigue, mais puisant une vigueur nouvelle dans la grandeur de sa résolution, il se met à la tête de l’aile gauche de Turenne, se précipite, comme s’il était au début de l’affaire, sur l’aile droite de l’ennemi, l’enfonce, fait prisonnier son commandant, puis, tournant à droite, se jette sur le centre des impériaux, dégage le sien, le rallie, le ramène au combat, et, maître du champ de bataille, s’apprête à faire face à Jean de Wert, qui, revenant de sa poursuite inutile, apprenant la mort de Mercy et la prise de Gleen, consterné du désastre produit par son absence, n’ose ni attaquer ni attendre Condé, se borne à recueillir les débris de l’armée et se sauve à Donawerth. Condé avait encore eu dans ce second combat un cheval tué sous lui ; il avait reçu un coup de pistolet, et il manqua de ne pas survivre à sa victoire. C’est alors qu’il fit cette grande maladie au sortir de laquelle il se trouva avoir perdu avec son sang et ses forces toute sa passion pour Mlle du Vigean[2].

Condé est du petit nombre des capitaines qui n’ont pas moins excellé dans l’art des sièges que dans celui des combats[3]. En 1643, après Rocroy, il avait pris Thionville, une des premières places fortes du temps. En 1644, il avait pris Philipsbourg, qui commandait le Haut-Rhin. En 1646, ayant eu la sagesse de consentir à servir sous le duc d’Orléans pour ménager les ombrages et la vanité de ce prince, et

  1. Ce même Arnauld, le maistre-de-camp des carabiniers, dont nous avons tant de jolis vers dans le genre de ceux de Voiture, et dont Mme de Rambouillet regrette l’absence pour répondre à Godeau dans son style. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 juin dernier, p. 1021.
  2. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 juin dernier, p. 1053.
  3. En Italie, Napoléon n’a pas fait de siège proprement dit. Mantoue, souvent investie, est tombée à la suite de Rivoli.