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à l’aide d’un voile dont elle se couvre le visage, et lui-même, le pêcheur Kerouan, sans se douter que c’est sa fille, s’efforce de la protéger contre l’indiscrétion et l’insolence des nombreux amis du marquis. De retour à son village, Marie se désole de la trahison dont elle a failli être victime, et craint la fureur de son père lorsqu’il s’apercevra qu’elle ne se trouve pas parmi les jeunes filles qui doivent sortir du couvent où elles sont renfermées depuis neuf jours, attendant la miraculeuse intervention de la vierge de Kermo. Son ami Jean la rassure en lui pardonnant sa faute, et, lorsque les jeunes filles de Kermo descendent processionnellement de la montagne chacune accompagnée d’un parent qui est allé à sa rencontre, on voit une image parfaite de Marie qui donne la main à son père et qui le conduit dans sa maison. L’étonnement de la véritable Marie est bien grand en se voyant représentée par une autre elle-même. Elle reconnaît bientôt, en regardant par la fenêtre dans la chambre de son père, qui s’illumine tout à coup d’une clarté surnaturelle, l’ombre de sa mère, morte depuis long-temps, qui s’est émue du danger et de l’innocence de sa fille, et dont il lui a été permis de venir sauver l’honneur.

Voilà le canevas sur lequel MM. Lockroy et Dennery ont bâti une histoire impossible et sans aucun intérêt, qui rappelle par quelques scènes le Domino noir de M. Scribe, moins la gaieté; histoire obscure, qui se déroule péniblement, et dans laquelle aucun personnage n’est suffisamment dessiné. Le marquis n’a pas de physionomie; Jean, l’ami d’enfance de Marie, qui devrait concentrer sur lui une partie de l’intérêt de la pièce, est effacé par la présence et le caractère équivoque du marquis. Quant au personnage épisodique du chevalier que M. Couderc joue avec brio, c’est une superfétation ajoutée après coup, et comme un repentir des auteurs qui semblent s’être aperçus un peu tard qu’il fallait bien rire un peu dans un opéra-comique.

La musique du libretto que nous venons d’analyser est de M. Aimé Maillart. Ce jeune lauréat de l’Institut s’est déjà fait connaître par un opéra en trois actes, Gastibdza, qui a servi d’ouverture au troisième théâtre lyrique, et par un petit opéra en un acte, le Moulin des tilleuls, qui a été donné à l’Opéra-Comique. Dans Gastibelza, on avait remarqué une sorte de verve tapageuse, une surabondance de couleurs un peu criardes et de gros effets qui annonçaient une ambition impatiente de se produire. Dans le Moulin des tilleuls, le compositeur, plus sûr de lui-même et contenu d’ailleurs par un sujet plus modeste, avait nécessairement tempéré son ardeur et mis plus de nuances dans son style; toutefois le Moulin des tilleuls, aussi bien que Gastibelza, révélaient une tendance aux grands coups de théâtre, à la peinture des passions énergiques. Cette tendance se fait encore sentir dans plusieurs parties du nouvel ouvrage de M. Maillart.

L’ouverture de la Croix de Marie ressemble à peu près à toutes les ouvertures qu’on écrit en France depuis une vingtaine d’années : elle manque de plan et d’unité, et se compose de deux ou trois motifs que l’auteur s’emprunte à lui-même, et qui se succèdent tant bien que mal. Il serait difficile d’y saisir une idée dominante travaillée, développée avec goût, exprimant le caractère du drame qui va se dérouler sous les yeux du spectateur. C’est un mélange d’effets éparpillés, où les violoncelles murmurent un cantabile de courte haleine, accompagné par les harpes. À ce cantabile succèdent d’autres petits effets de détail, où l’on remarque l’imitation du biniou, instrument agreste