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cri de l’enfant,… j’ai cru que c’en était fait de vous deux ; … et alors… je ne puis pas dire ce qui s’est passé ; … mais il m’a semblé… qu’au dedans de moi… le grand ressort de la vie ; se brisait… Aussi, à cette heure, je sens que tout est fini…

Ropars combattit ces craintes en répétant que le chirurgien était rassuré, et que tout irait bien. La malade, qui tenait les yeux fermés, entr’ouvrit les paupières avec peine, et lui jeta un regard plein d’une triste douceur.

— Dieu est le maître, Mathieu, dit-elle ; il sait si je suis heureuse de vivre avec vous… Seulement… croyez-moi, pauvre ami, ne reprenez pas trop de joie… Le plus sage est de mettre les choses au pire…

— Le plus sage, interrompit le marin, est de prendre du repos et d’avoir confiance. Moi aussi je crois à ce que je sens… Cette nuit encore j’avais du plomb dans le cœur ; à cette heure mon cœur est léger ; je puis respirer d’une seule haleine. Au nom de Dieu, laissez revenir la santé, et reprenez goût à vivre, quand ce ne serait que pour moi !

Geneviève fit un effort pour avancer sa main humide et froide jusqu’à celle de Ropars.

— Tu es bon, Mathieu, dit-elle en laissant couler deux petites larmes, les dernières que l’émotion pût arracher à ses yeux épuisés de pleurs. Ah ! mon plus grand regret, à cette heure, est de n’y avoir pas toujours pensé, de ne m’être pas montrée assez reconnaissante. Jésus ! comme on vaudrait mieux avec ceux qu’on aime, si on se rappelait qu’on doit un jour les quitter ! Depuis que j’ai retrouvé mon esprit, cette idée-là me poursuit ; je sens toutes mes fautes, j’ai des remords. Oh ! dites, par grâce, Mathieu, me pardonnez-vous, à cette heure, de n’avoir pas toujours été ce que j’aurais dû ?

— Ne parlez pas ainsi, Geneviève, interrompit le marin très ému ; vous savez bien que je ne pouvais demander à Dieu une meilleure femme ; depuis que je vous ai, rien ne me manque, et c’est à moi de vous remercier.

— Non, non, reprit la malade, qui s’animait, bien des fois j’ai manqué de courage et de patience… Pas avec vous seulement,… mais avec Francine,… avec Josèphe,… Josèphe !… pauvre enfant de mon cœur qui avait si peu d’années à vivre !… Et penser, Mathieu, que souvent je l’ai fait pleurer… elle qui est maintenant sous terre ! Ah ! ce sont surtout les pleurs des morts qui pèsent là… Et les autres gens que j’ai pu offenser… et Dieu contre qui j’ai péché !… Ne pourrai-je donc obtenir miséricorde ?

Puis, comme si cette idée eût réveillé en elle une sorte de terreur :

— Ah ! c’est impossible ! ajouta-t-elle en se redressant. Mathieu ! Mathieu ! je veux voir un prêtre !