Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus. — Et elle s’efforçait de tarir ses yeux, toujours remplis de nouvelles larmes. — Voyez, on ne s’aperçoit plus de rien. Les médecins peuvent se tromper d’ailleurs, n’est-ce pas ? Et puis… Dieu nous aura en pitié.

— Il faut l’espérer, répliqua le garde attendri ; mais, si c’est à lui d’avoir de la pitié, c’est à nous de montrer de la résignation. Allons, brave cœur, ris à ta fille, cela lui fera du bien, et, avant de retourner vers elle…. embrasse-moi…. Pour nous donner à tous deux du courage.

La mère de Josèphe jeta ses bras autour du cou de son mari et eut une nouvelle crise de larmes ; mais elle s’arrêta à la voix de la malade qui l’appelait pour la seconde fois, et, refoulant par un suprême effort le désespoir jusqu’au plus profond de son cœur, elle s’élança dans la maison le front serein et le sourire sur les lèvres.

Cependant l’état de Josèphe s’aggrava rapidement. Le soir, la fièvre avait redoublé. La malade parlait tour à tour de sa sœur Francine, de Michel, du merisier en fleurs, de son bon ami M. Gabriel ; tantôt elle croyait l’entendre, elle l’appelait, elle voulait savoir s’il lui avait rapporté les présens promis ; d’autres fois, le souvenir de la scène de la ravine se réveillait dans sa mémoire ; elle s’écriait qu’il était mort et qu’elle entendait la terre rouler sur lui dans la fosse. Le chirurgien revint à plusieurs reprises et multiplia les prescriptions sans pouvoir ralentir la marche de la maladie. La nuit fut horrible pour la pauvre mère, qui retenait dans ses bras l’enfant toujours plus égarée. Au retour du soleil, cette turbulence délirante tomba, mais pour faire place à la torpeur qui précède la mort. Enfin, vers le milieu du jour, Josèphe rouvrit les yeux et poussa un soupir : ce fut le dernier.

Le coup était trop attendu pour que le désespoir de Ropars et de Geneviève eût rien de bruyant ; la douleur de cette perte l’avait pour ainsi dire précédée: tous deux l’avaient bue goutte à goutte pendant la longue agonie. Le calme de la mère garda pourtant quelque chose de hagard,, qui eût épouvanté un observateur moins troublé que Mathieu. Voulant rendre à sa fille les derniers devoirs, elle peigna longuement ses beaux cheveux noirs, la revêtit de ses meilleurs habits, et la coucha en réunissant les deux mains sur son cœur, comme Josèphe avait coutume de le faire dans son sommeil. Tous ces soins furent donnés lentement, paisiblement, avec une sorte de complaisance, et souvent entremêlés de baisers. À peine si une larme coulait de loin en loin sur ses joues marbrées de taches ardentes, et si un léger tremblement agitait la main qui s’acquittait de ce triste office. Enfin, quand celle qui avait mis au monde cette enfant, qui l’avait nourrie de son lait et de son amour, l’eut elle-même cousue dans le linceul, elle s’approcha de la fenêtre, brisa la tige d’une giroflée blanche, la seule que le vent de mer eût épargnée, et l’effeuilla sur le suaire.