Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’en put distinguer aux dernières lueurs du jour le pavillon jaune de l’intendance sanitaire.

À cette vue, Geneviève et les enfans poussèrent un cri. Toutes trois avaient compris que c’étaient des hôtes qui arrivaient au lazaret ; ils allaient mettre l’île en quarantaine et interdire toute communication avec le dehors. La visite du lendemain était indéfiniment remise, et le merisier serait défleuri avant qu’elles eussent recouvré leur liberté. Cette destruction d’une espérance qui venait d’éclore avait quelque chose de si subit et de si inattendu, que Francine et Josèphe ne purent s’y résigner : elles se jetèrent un regard désolé et se mirent à pleurer tout bas, tandis que la mère prenait de chaque main une de ses filles et remontait tristement le sentier. Geneviève elle-même avait le cœur oppressé. En atteignant la plate-forme, elle s’arrêta involontairement. Le canot à la voile rose qui emportait les promesses de réunion et de fête avait disparu ; mais la noire chaloupe était là à ses pieds, elle venait d’aborder avec la réclusion, la tristesse et la maladie. Geneviève embrassa ses deux enfans en retenant à grand’peine une larme qui roulait sous ses paupières, et, sans vouloir regarder davantage, elle se hâta de rentrer.

Pendant ce temps, Mathieu était allé recevoir les quarantains et leur ouvrait le lazaret. Lorsqu’il revint, il était un peu pâle, et son regard avait une expression dont Geneviève fut frappée ; mais, à la première question qu’elle lui adressa, il l’interrompit précipitamment pour lui demander où étaient Josèphe et Francine.

— Ne les voyez-vous pas ? répondit-elle en montrant les deux petites filles assises dans l’obscurité, encore toutes soupirantes et les yeux humides ; les croyiez-vous donc parties avec leur cousin ?

— Plût à Dieu ! murmura Mathieu avec angoisse et assez bas pour n’être pas entendu des enfans.

Geneviève le regarda stupéfaite.

— Pourquoi cela ? demanda-t-elle ; qu’est-il arrivé ? Au nom de la Trinité, parlez, Mathieu ! Qu’y a-t-il donc ?

— Eh bien ! reprit le garde, il y a… que la mort est dans l’île.

— Que voulez-vous dire ?

— Ce que j’ai vu, pauvre femme ! La chaloupe de la Thétis vient de débarquer des infirmiers et des chirurgiens avec huit malades, dont pas un ne reverra la grande terre.

— Jésus ! qu’ont-ils donc ?

— La fièvre jaune !


II.

pour l’habitant de l’intérieur, la fièvre jaune n’est qu’une maladie pareille à mille autres qu’il connaît seulement de nom. Les traditions