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Mathieu Ropars regardait depuis quelque temps cette espèce de lutte joyeuse de la fantasque Brunette et de ses filles, lorsqu’il sentit une main s’appuyer sur son bras ; il se retourna et rencontra pour ainsi dire contre son épaule le visage brun et riant de leur mère.

— Vois donc les enfans, dit-il en montrant par un mouvement de tête le groupe folâtre.

— Jésus ! Francine va tomber ! dit la mère, qui fit un pas vers le sentier ; mais il la retint.

— Laisse ! répliqua-t-il ; ne sais-tu pas qu’il n’y a rien à craindre quand Josèphe la surveille ? Sans compter que la Brunette les aime plus que ses propres chevreaux, et elles le lui rendent bien ! Dieu me pardonne si la bête n’est pas ce qu’elles préfèrent après nous !

— Et après M. Gabriel, fit observer la mère, — au moins pour Josèphe : — bien qu’il ne soit resté au lazaret guère plus d’une semaine, et qu’il y ait de cela trois ans, l’enfant ne laisse point passer un seul jour sans parler de lui.

— À vrai dire, le lieutenant est un homme difficile à oublier, reprit Ropars, surtout pour la petite, à qui il a fait tant d’amitiés et de promesses… Ne doit-il pas lui apporter toutes les merveilles de l’Inde ? Au reste, s’il ne lui est pas arrivé malheur, mon idée est que nous ne tarderons pas à le revoir ainsi que la Thétis.

— En attendant, il faut que j’annonce aux enfans une autre visite qui ne leur sera pas un petit contentement.

— Laquelle donc ?

— Celle du cousin avec le petit Michel.

— Dorot va venir ? répéta Mathieu, qui regarda la plate-forme de l’île des Morts ; comment le sais-tu ?

— N’avons-nous pas notre langage de signaux comme les navires du roi ? répliqua Geneviève en souriant. Vois, il a arboré à sa fenêtre les trois petites flammes ronges ; c’est l’annonce qu’il vient ici. J’ai vu d’ailleurs Michel descendre chez le patron.

— Vivat ! s’écria Ropars dont la figure s’illumina ; il faut que ton cousin et le garçon soupent avec nous… Pourvu toutefois que ton garde-manger ne soit pas aussi vide que notre hôpital.

Geneviève se récria et énuméra avec une certaine complaisance ses ressources culinaires, heureusement renouvelées deux jours auparavant par le patron, qui desservait en même temps la poudrière et le lazaret. Mathieu promit de compléter le régal en débouchant pour le garde d’artillerie une vieille bouteille de vin de Roussillon depuis long-temps enfouie sous le sable de son caveau.

Dans ce moment, les deux petites filles atteignirent la terrasse.

— Vite ! leur cria la mère, venez, il nous arrive quelqu’un.

M. Gabriel ? répondit Josèphe, qui s’élança avec un cri.

— Eh ! non, folle ! le cousin Dorot et le petit Michel.