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les voir dépouiller une enveloppe et des manies surannées. Ce n’est pas le seul rapport que M. Pardo ait avec le pamphlétaire espagnol : il a encore sa vivacité, son talent d’observation, son goût et sa sûreté de jugement. Il est à regretter que son style, un peu négligé, se ressente trop des habitudes de l’improvisation, encouragées par la complaisance du public auquel il s’adresse.

La polémique brillante et chaleureuse, les fantaisies littéraires qui remplissent les journaux, les conversations où l’esprit pétille et où les saillies s’envolent en fusées, montrent suffisamment que ce n’est ni l’intelligence, ni l’imagination, ni le goût qui manquent aux Péruviens depuis l’indépendance. Ce qui leur fait défaut, ce sont des études préparatoires sérieuses, peut-être aussi des convictions bien arrêtées. Il est donc du plus grand intérêt pour le gouvernement de s’occuper des écoles, trop négligées jusqu’à ce jour, et d’imprimer à l’enseignement la sage direction morale dont il est privé. Cette réforme est, de toutes celles que réclame la société péruvienne, la plus importante. Dès que les membres du clergé et ceux de la magistrature pourront puiser à un enseignement élevé ces notions d’ordre et de justice éternelle par lesquelles on gouverne les peuples, ils reprendront leur rôle austère et intègre, et le règne de la soldatesque sera fini.

L’esprit sensualiste du dernier siècle a exercé au Pérou comme en Espagne une fâcheuse influence : l’énergie du caractère national, un moment altérée par le déclin des anciennes croyances, tend aujourd’hui à reprendre le dessus. Les jeunes états de l’Amérique méridionale ne peuvent pas rester plus long-temps sourds à la voix de leur intérêt et attendre les événemens dans une molle apathie. Ils ont un dangereux voisinage; la race anglo-américaine, un jour mal à l’aise dans ses limites, pourrait bien déborder sur leur territoire. Ce serait alors une nouvelle conquête qui effacerait jusqu’à la noble langue castillane, car la devise des Américains du Nord (grow them !) implique non l’absorption, mais la destruction. Les états de l’Amérique méridionale ont donc deux dangers sérieux à conjurer : — l’élément indien, qui tend à reprendre sa place et la prépondérance qu’il a perdue depuis la conquête; — l’élément anglo-américain, envahisseur s’il en fut. En présence de ces deux forces menaçantes, c’est sur une immigration européenne et surtout française que devraient s’appuyer les états hispano-américains. Qu’ils se tournent avec confiance vers les races néo-latines, rapprochées d’eux par le lien d’une même foi. Si ce mouvement échoue, c’est que la race espagnole aura été condamnée à expier dans la suite des siècles le joug terrible qu’elle imposa aux nations du Nouveau-Monde, et que l’heure sera venue où sa sève épuisée devra se greffer sur un autre rameau.


MAX RADIGUET.