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durable ; il l’arrêterait le jour où l’opinion commencerait à tourner. Il déclara donc la guerre (octobre 1739), tout en se moquant de l’allégresse publique par laquelle cette déclaration fut accueillie, et c’est assurément la plus grande faute de sa vie. L’opposition avait, de mauvaise foi, réclamé la guerre pour le perdre ; de mauvaise foi, il accorda la guerre à l’opposition pour la désarmer et la compromettre : la guerre ne réussit ni à l’opposition ni à lui.

Conduite sans ardeur et avec une habileté médiocre, elle irrita les sentimens qu’elle était destinée à satisfaire. Les difficultés, les lenteurs, les revers, tout fut imputé au pouvoir. La guerre ne profitait nullement au commerce, qui l’avait réclamée ; elle menaçait d’amener à sa suite une rupture avec la France, et cela dans le moment où la prétention de Marie-Thérèse à l’empire mettait en feu le continent. La situation devenait sombre et critique, quand il fallut élire un nouveau parlement (1741), et on le réunissait à peine, lorsque Horace Walpole arrivait d’Italie pour y siéger auprès de son père, plus que jamais menacé par les partis et la multitude. Expiant le tort d’un caractère trop impérieux, d’une politique trop exclusive, d’une supériorité trop intolérante, d’un orgueil trop confiant, il voyait toutes les colères amonceler tous les périls sur sa tête, et ces derniers mots n’étaient pas pris dans ce temps-là pour une pure métaphore. La haine qu’il inspirait était l’unique lien qui tenait ensemble les oppositions coalisées ; sa perte était le but commun, et le cabinet, le roi, la majorité même s’aperçurent bientôt qu’il n’y avait à sacrifier qu’un seul homme. Il devenait difficile de garder à cet homme une héroïque fidélité, et lui-même ne tarda pas à sentir combien est précaire et trompeur le dévouement des intérêts ; ébranlé déjà par des élections violemment disputées, ne pouvant, d’après ses calculs, espérer dans la nouvelle chambre qu’une majorité de 16 voix, il livra un combat désespéré que nous laisserons raconter à son fils. Ce dernier a tout écrit à son ami Horace Mann.


« 10 décembre 1741.

« … Vous allez être presque aussi impatient d’avoir des nouvelles du parlement que moi de Florence. Les lords ont abordé vendredi le discours du roi. Lord Chesterfield a fait un très beau discours contre l’adresse, tout dirigé contre la maison d’Hanovre[1]. Lord Cholmley lui a, dit-on, bien répondu. Lord Halifax a très mal parlé, et la réponse a été faite par le petit lord Raymond, qui veut toujours lui répondre. Votre ami lord Sandwich a extrêmement outragé sa grâce de Grafton, qui était souffrant, et qui s’est jusqu’au

  1. C’est le lord Chesterfield célèbre par son esprit et par ses lettres. Le gouvernement le soupçonnait alors d’être entré en communication avec les Stuarts, depuis que, pour son opposition au bill de l’excise, Walpole l’avait destitué de la place de grand-maître de la maison du roi (lord stewart of the household).