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Malheureusement les réformes accomplies froissèrent quelques intérêts, firent saigner quelques amours-propres; quelques chefs de parti influens avaient été condamnés à l’exil; parmi ceux-ci se trouvait le général Castilla, qui résolut de faire servir la situation à la cause du principe constitutionnel. Il fomenta dans le sud une insurrection et marcha sur la capitale avec un noyau d’armée qui se grossissait de jour en jour de nouveaux enrôlés. Dès que ces événemens furent connus à Lima, il s’y manifesta une agitation extrême, et l’on ne put douter, à l’enthousiasme avec lequel on se préparait à repousser l’ennemi, de la chaleur des sympathies vouées à Vivanco. La ville revêtit en cette circonstance un caractère tout particulier qui ne manquait pas d’intérêt. Les citoyens couraient s’inscrire aux registres d’enrôlemens volontaires; on organisait la résistance sur les points menacés et faibles, et l’on dressait aux issues principales de la ville des barricades défendues par de l’artillerie. Ces derniers ouvrages, exécutés sans la moindre entente, ne pouvaient être pour la plupart d’aucun secours; la barricade du pont de Montes-Claros surtout, composée de charpentes massives et fixes qui rendaient impossible le pointage d’une lourde pièce de campagne placée derrière, nous sembla destinée à jouer un rôle fort médiocre, si la tentative avait lieu de ce côté. Néanmoins c’était plaisir de voir quelle importance on paraissait attacher à ces moyens illusoires. Les officiers supérieurs, les aides-de-camp affairés, les ordonnances, galopaient dans toutes les directions, visitant les postes, examinant les différens travaux et portant des ordres. Des patrouilles circulaient par la ville; tout le monde jouait au soldat, et le plus pacifique tiendero, enrôlé dans la milice bourgeoise, faisait retentir le pavé sous quelque rapière innocente. Cette ardeur guerrière assez burlesque, ces préparatifs assez insignifians vus de près, eurent pourtant ce bon résultat, qu’ils parvinrent au camp ennemi avec des proportions gigantesques. Aussi, tandis que les bruits les plus contradictoires circulaient à Lima touchant l’approche de l’armée révolutionnaire, celle-ci, ne se trouvant pas assez forte pour tenter l’attaque d’une ville en aussi martiale attitude, rebroussait chemin, décidée à attendre de nouveaux renforts. Nous devons ajouter, pour être juste, que cette retraite fut attribuée à un motif louable. Le général répugnait, disait-on, à ensanglanter par un combat les rues de la capitale. Cependant le parti de Castilla, pour avoir différé son attaque décisive, n’en devint que plus redoutable. Le directeur suprême recevait sur ses progrès des communications tellement inquiétantes, qu’il se décida à lui opposer une division dont il confia le commandement à l’un de ses généraux. Celui-ci, s’étant mis en campagne, joignit l’ennemi; mais, dans un moment où il avait eu l’imprudence de laisser ses hommes rompre leurs rangs et déposer leurs armes pour aller se