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encore dans sa décadence comme un hidalgo du bon temps, cherche à dépasser du front quatre grands cyprès géans, ses voisins. Aux angles du jardin, quatre jets d’eau plus petits sanglotent tristement sous les ombrages. Le génie familier de ce petit inonde était, à l’époque de mon séjour à Lima, un vieillard aussi doux et aussi inoffensif qu’on peut l’être, quand on a vécu toute sa vie parmi d’aussi innocentes choses. Ce brave homme s’appelait Martin, il s’était pris d’affection pour moi, parce que je peignais des images, et je devais à cette affection mes libres entrées dans le parterre, le profitais largement de la permission qui m’était accordée. Le bon vieillard se plaisait à me montrer toutes les richesses de son humble empire : le suché aux fleurs jaunes ou aux fleurs roses, le melocoton, l’aroma aux parfums pénétrans, le floripondio dont les larges calices blancs versent des torrens de senteurs. Les noms espagnols dont il baptisait les fleurs, ses filles bien-aimées, ne m’empêchaient pas de reconnaître, dans leurs larges vases de terre rouge, les œillets, les balsamines, le thym, la citronnelle, les mauves odorantes, la flor del sol chère aux Incas, et les roses surtout qui font songer à la douloureuse exclamation du poète Quintana :

Ay! inféliz de la que nace hermosa!


C’est auprès du jet d’eau de San-Francisco, sous un berceau de jasmin dont les étoiles blanches remplissaient l’air de suaves émanations, que j’aimais à m’asseoir dans un vieux fauteuil où s’étaient assis à la fleur de la vie des moines qui, plus tard, y avaient reposé leur décrépitude centenaire. Le bruissement des eaux se mêlait, autour de moi, au chant des oiseaux, et quelquefois aux harmonies lointaines de l’orgue, pendant que ma pensée se reportait avec un charme mélancolique vers le pays natal et vers les chers absens.

Un autre couvent de Lima, Santo-Domingo, m’offrait aussi un curieux sujet d’études. La vie religieuse au Pérou s’y montre sous sa face la moins connue peut-être, dans l’influence qu’elle a exercée sur l’art national. Ce couvent possède plusieurs patios, dont une fontaine de bronze occupe le centre, et qui tous sont entourés de deux rangs superposés de cloîtres à arcades cintrées. Seul, le premier de ces cloîtres, c’est-à-dire le plus voisin de l’église, est entretenu avec soin. Ses murailles sont lambrissées de carreaux de faïence coloriée représentant des sujets de piété et des arabesques, et son plafond de bois de cèdre est composé de compartimens symétriques, où des rosaces élégamment sculptées scintillent encore radieuses dans leur robe d’or sur un firmament d’outremer, qui a moins bien résisté aux attaques du temps. Quelques fresques grossières et symboliques sont éparses sur les murailles ou placées au-dessus des portes pour indiquer le genre d’occupation auquel on se livrait dans les diverses salles. Ainsi un livre dévoré par les flammes