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avaient permis d’observer la société péruvienne dans toute la bizarre mobilité de ses goûts. Ces fêtes ont pourtant des aspects plus sérieux; presque toujours elles se marient à des cérémonies religieuses, et les mêmes spectateurs qui, le soir, ébranlent de leurs applaudissemens le cirque et le Colisée, on a pu les voir le matin se presser avec une pieuse exaltation dans les églises, dans les couvens ou sur le passage des processions.

Nulle part on ne trouve plus de témoignages de l’ancienne splendeur de Lima que dans les cloîtres et les églises. Parmi ces édifices, dont la plupart malheureusement tombent en ruines, je citerai surtout le couvent de San-Francisco. l’on bâtirait une ville dans son enceinte, tant il est spacieux : il possède une église, trois grandes chapelles et neuf cloîtres, qui tous sont d’architecture différente. La façade de l’église principale est un assemblage de statuettes et de moulures d’un aspect général assez lourd sans être pourtant désagréable à l’œil; l’intérieur ne contient en fait d’œuvres précieuses que les boiseries du chœur placé au-dessus de la porte d’entrée. L’un des autels a ceci de particulier, que toutes les figures du retablo sont noires. Les nègres tiennent cet autel en grande vénération, parce que, disent-ils, agenouillés sur ses marches, ils n’ont point à craindre la partialité du saint chargé de transmettre leurs prières à l’Éternel. La plus riche des chapelles, si l’on tient compte de la quantité des ornemens et non de la qualité, est celle qu’on nomme del Milagro (du Miracle). Ce ne sont partout que cristaux suspendus aux voûtes, fleurs, rubans, ornemens clinquantes, cages de filigrane d’argent pleines de serins et autres oiseaux chanteurs, tous objets sans valeur sérieuse, mais qui pourtant causent à première vue un certain éblouissement. Cette chapelle fut nommée del Milagro, parce que la madone de pierre qui ornait sa façade et qui, les mains jointes, priait depuis un siècle pour les vivans, pivota sur elle-même durant le tremblement de terre du 16 novembre 1630, tendit vers l’autel des mains suppliantes, et parut conjurer la colère du Seigneur en appelant sa miséricorde sur la ville. Un pays aussi fécond en tremblemens de terre que le Pérou devait être un champ inépuisable de miracles et de légendes merveilleuses. Parmi ces traditions populaires, il en est une qui est consacrée par une singulière coutume. Quito, l’une des villes les plus considérables de la vice-royauté, ayant été ruinée par un tremblement de terre sans que le village voisin de Guapulo eût souffert de la secousse, on se perdit en conjectures sur les causes de cette préservation miraculeuse. Tout à coup, avec cette spontanéité électrique qui se révèle souvent chez les masses et dont on cherche en vain le secret, la voix populaire attribue le salut de Guapulo à l’influence d’une madone de ce village. Pèlerins, prières et offrandes abondent aussitôt dans son église; des fêtes sont instituées en