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voisine de la scène, occupe le tiers du côté droit de la première galerie ; elle est tendue de velours cramoisi frangé d’or. L’écusson de la ville, qui est d’azur, à trois couronnes d’or surmontées d’une étoile rayonnante, éclate au front du rideau ; puis, à droite et à gauche, on lit en grosses majuscules noires, sur des cartouches : No se fuma aqui ; mais cette inscription ne semble placée là que pour rappeler les spectateurs, durant les entr’actes, à leurs habitudes favorites. Aussi, dès que la toile baisse, chacun se hâte-t-il d’allumer son mechero. Une troupe nationale et une troupe italienne figurent tour à tour sur la scène du Colisée. Nos drames et nos vaudevilles français ne s’y produisent que doublement travestis par l’infidélité des traducteurs et l’inintelligence des acteurs. Quant aux saïnetes, qui servent d’intermèdes à des œuvres plus sérieuses, elles n’ont jamais eu pour nous de charme bien attrayant. Ce sont presque toujours des farces saupoudrées de gros sel et pleines de situations surannées, de lourdes bouffonneries dont les burlesques héros se meuvent avec force grimaces et éclats de rire qui trouvent un écho dans la partie medio-pelo[1] de l’auditoire. Las liricas (c’est ainsi qu’on nomme à Lima les cantatrices italiennes) ont seules le don de faire affluer au Coliseo une foule choisie qui vient de bonne foi pour écouter l’opéra de toutes ses oreilles. Un orchestre passable, des chœurs médiocres où une douzaine de muchachos (cet âge est sans pitié) déchirent à qui mieux mieux les plus suaves conceptions, deux habiles cantatrices, quelques chanteurs zélés, tels sont les principaux élémens de succès de l’opéra italien de Lima. — L’installation de ce spectacle, aujourd’hui en pleine vogue, mit dans le principe en émoi toutes les consciences timorées de la capitale du Pérou. Leurs hésitations ne tinrent pas contre le succès de la première audition. La curiosité, cette magicienne toute-puissante sur l’esprit féminin, ouvrit, à deux battans les portes du théâtre ; dès-lors la foule élégante y afflua, et, pendant notre séjour à Lima, l’engouement était dans toute son ardeur. Nous passâmes plus d’une soirée agréable au Coliseo. Si notre dilettantisme eut parfois à souffrir, nous trouvâmes quelques dédommagemens dans les distractions que nous causait le personnel de la salle. L’élite de la société occupait les loges, et les femmes se montraient le visage découvert et costumées à la française avec une recherche pleine de goût et de distinction. Dans chaque compartiment s’épanouissait un riant bouquet de gracieux visages qui empruntaient parfois un charme particulier à l’arrangement original et bizarre d’une chevelure blonde ou brune torturée de mille manières, chaque Liménienne se coiffant à peu près à sa guise et consultant bien plus en cela l’avantage de sa physionomie que les exigences de la

  1. Sang-mêlé.