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del Acho. Le cirque est situé sur la rive droite du Rimac, près d’une fraîche alameda côtoyée par la rivière, et c’est là que tous les lundis, pendant la saison des courses de taureaux, se presse une foule avide. Je me promis de ne pas manquer à un si curieux rendez-vous de toutes les classes de la société liménienne. Quelques jours avant la fête, un cortège à la fois éclatant et grotesque avait parcouru les rues de Lima : c’étaient des taureaux chargés de guirlandes et de clinquant, des mannequins à figure étrange revêtus d’étincelans oripeaux, des cavaliers enfin suivis d’une bande de muchachos en guenilles. Les notabilités du cirque paradaient ainsi devant les badauds et préludaient à leurs exercices par une cavalcade qui rappelait l’appareil des sacrifices païens avec leurs idoles, leurs holocaustes parés et leurs victimaires. Jamais le cirque del Acho n’avait recouru à un déploiement plus complet de tous les artifices propres à piquer la curiosité publique. Le programme, galamment imprimé sur papier rose et répandu à profusion par les asentistas (entrepreneurs), promettait des merveilles, et en regard des principaux exercices on pouvait lire, suivant l’usage péruvien, une foule de petits vers qui ne manquaient pas d’originalité dans leur entrain pittoresque. On en jugera par le sonnet suivant[1] où l’opéra italien, alors en vogue à Lima, était opposé spirituellement au cirque des taureaux.


« Que d’autres chantent Norma et Juliette, — qu’ils chantent Bélisaire et Roméo, — je me soucie de leur roucoulement comme d’un radis, — et je ne dépense pas une piécette pour les entendre.

« Moi, je suis un poète canaillocrate. — Je chante les taureaux, je me complais en eux, — et c’est avec orgueil et enthousiasme que je vois — un spectacle aussi philanthropique et aussi convenable.

« Et ils l’appellent atroce!... quelle sottise! — Mais que l’infortuné Roméo en finisse, — que l’on accommode Marino, — et que sa femme, pauvre enfant ! — soit aussi victime de sa destinée, — on ne trouve à cela rien d’atroce, et la chose parait irréprochable. »


Le même programme contenait plusieurs strophes de vingt-quatre vers chacune, où respirait le plus vrf enthousiasme pour le général Vivanco et dona Cypriana. Le préambule, destiné à amener l’éloge du directeur suprême, donnera une idée de ce que sont à Lima ces poèmes de circonstance, qui, sous le voile de l’anonyme, cachent souvent des écrivains distingués du pays.


« Plaise à Dieu que je puisse — en vers pleins de miel — déposer sur le

  1. Canten otros a Norma y a Julieta,
    Cauten a Belisario y a Romeo,
    Un rabano me importa su gorgeo,
    Y no gasto en su canto una peseta.
    Yo que soy canallocrata poeta,
    Canto toros, en ellos me recreo, etc.