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règles, se refuserait, au dehors à toute limitation. À cette rivalité dans la fabrication s’ajoute une concurrence encore plus âpre, se produisant sous différentes formes sur le sol lyonnais parmi les travailleurs eux-mêmes. Voici d’abord le tissage établi à la campagne, où il s’exécute à meilleur compte, qui enlève chaque année aux tisseurs de la ville une masse croissante d’ouvrage. On peut prévoir qu’un jour les étoffes unies auront entièrement abandonné la cité, et qu’il n’y restera plus guère que ces articles de haute nouveauté réclamant, outre des mains plus adroites et plus exercées, la continuelle vigilance du patron et vingt autres conditions difficiles à réunir dans les campagnes. Cet éparpillement du travail n’a point amené une réduction dans le nombre des ouvriers groupés au confluent de la Saône et du Rhône. Les tisseurs n’émigrent pas de la Croix-Rousse, et le flot annuel des nouveaux arrivans reste toujours le même, tandis que les métiers se multiplient sous les chaumières des paysans du Dauphiné et du Forez, et rendent chaque jour plus précaire la situation du tissage dans la ville.

Ce n’est pas tout : l’agglomération des métiers dans les ateliers mécaniques commence à menacer le travail à domicile, surtout celui qui est le plus coûteux, celui de l’industrie urbaine. Quelques établissemens munis de moteurs hydrauliques sont en pleine activité dans les département voisins du Rhône, dans l’Ain, dans l’Isère; si quelques essais à la vapeur n’ont pas aussi bien réussi, on a du moins constaté que le succès n’était point au-dessus de nouvelles études et de persévérans efforts. L’arène ouverte est immense. Le mouvement qui s’annonce paraît devoir répondre à notre civilisation, qui tend si ostensiblement à remplacer, dans la production industrielle, la force humaine par des forces conquises sur la nature physique. Appelé à d’infaillibles progrès, ce mouvement a débuté avec une patiente mesure. La mécanique a d’abord été appliquée aux étoiles les plus communes, à celles qui sont teintes après la fabrication; puis on a. employé des fils teints à l’avance, mais seulement pour des tissus peu serrés auxquels un apprêt était ensuite nécessaire; maintenant la machine a saisi des étoffes plus compactes, ou, comme on dit en fabrique, plus réduites. On pourrait peut-être soutenir qu’elle finira par s’attaquer aux riches tissus façonnés; toutefois ces étoffes sans rivales dans le monde, ces tissus soumis à tous les caprices de la mode, résistent à la fabrication en grand bien plus que les articles dont la consommation est uniforme et constante. Il ne faut pas craindre d’ailleurs, même pour les tissus unis, une brusque transformation. Le changement sera ralenti par l’intérêt des fabricans, que le régime actuel dispense d’acheter un matériel coûteux et affranchit de ces frais généraux qui deviennent écrasans en cas de longs chômages. Si l’avenir, un avenir plus ou moins lointain, appartient au nouveau système, jusqu’à quel point faut-il s’en alarmer?