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qui divisaient les chefs de la conspiration, enfans perdus de la bourgeoisie pour la plupart, dont la carrière naturelle avait été plus ou moins compromise, l’insurrection n’eut pas le temps d’éclater avant la reprise des travaux. Beaucoup de tisseurs songeaient à ce que leur coûtait l’anathème lancé sur la fabrique[1]. Les vingt-cinq ou trente mille métiers que l’agglomération lyonnaise renfermait alors produisant par jour, en moyenne, tant pour le chef d’atelier que pour le compagnon, un salaire de 2 fr. 50 c. à 3 fr., la population laborieuse perdait 75 à 90,000 francs par chaque journée de repos, sans parler du dommage qui rejaillissait sur vingt industries accessoires. Aussi tous les efforts pour attiser la discorde échouèrent-ils devant les nécessités de la vie, qui ramenèrent, au bout de huit jours, les ouvriers à leurs métiers.

Une circonstance inattendue contribua peut-être aussi à éclairer les chefs d’ateliers sur la faute commise. Les compagnons, qui n’avaient fait que suivre le mot d’ordre donné par les meneurs, s’étaient avisés, tout en se montrant peu désireux de reprendre la navette, de réclamer une indemnité à leurs patrons pour le préjudice causé par le chômage. Quel enseignement dans une pareille exigence! Les fabricans, disons-le, n’avaient pas provoqué la crise dont leurs intérêts souffraient; ils ne pensèrent point cependant à opposer, comme nous l’avons vu récemment en Angleterre dans l’industrie des mécaniciens, une coalition de patrons à une coalition d’ouvriers, et leur attitude fut irréprochable.

Le procès de six chefs d’atelier mutuellistes, poursuivis comme fauteurs de la coalition à peine éteinte, vint fournir un nouveau prétexte pour entraîner les ouvriers dans la rue. Ce procès, qu’on a reproché à l’autorité, était seulement tardif. On en connaît les incidens; on sait que, le tribunal ayant, par suite de quelque tumulte dans l’audience, renvoyé le jugement à huitaine, un malentendu amena des scènes de violence dont la répression incomplète ne fit qu’exalter les cerveaux. Le renvoi était d’ailleurs une calamité; il laissait suspendu sur une grande cité un nuage contenant la foudre. Dès le lendemain, à l’enterrement d’un chef d’atelier, qui servit de prétexte pour une démonstration politique, on put lire, sur la physionomie menaçante d’environ 12,000 ouvriers rassemblés derrière le cercueil, quels sentimens remuaient les poitrines. La veille du jour définitivement fixé pour le jugement des chefs de la coalition, on avait reçu de Paris la nouvelle du vote de la loi sur les associations qui attaquait dans leur existence les sociétés secrètes. Cette circonstance fut regardée comme une raison de plus pour en appeler aux armes. Par un abus d’autorité qui décèle l’impulsion à laquelle il était asservi, le conseil exécutif du mutuellisme avait

  1. Dans la réunion générale des mutuellistes (12 février 1834), sur 2,341 chefs d’atelier, 1,044 s’étaient prononcés contre l’interdiction absolue du travail.