Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Calais où il attendait le vent ou la marée, il entama avec lui une correspondance qui dura quarante-cinq ans. « Je ne me pique pas de faire celle-ci plus longue, lui écrivait-il le 25 août 1784, parce que je n’ai pas plus de matière. En bonne conscience, je puis bien me permettre une courte épître de temps en temps. J’ai compté combien de lettres je vous ai écrites depuis que j’ai débarqué en Angleterre, en 1741 ; elles se montent, — chose prodigieuse, — à plus de huit cents, et nous ne nous sommes pas rencontrés dans ces quarante-trois ans. Une correspondance de près d’un demi-siècle n’a pas, je suppose, sa pareille dans les annales de la poste aux lettres. » Cette correspondance, en effet, est un monument unique : elle serait seule parvenue à la postérité, qu’elle assurerait à son auteur une renommée durable. Qu’on y songe, pendant quarante-cinq ans, un homme de beaucoup d’esprit, placé au centre de la société anglaise, persiste à tenir un ami absent au courant de tous les événemens du monde où il vit. La politique et la littérature, les intrigues et les plaisirs de son temps, il aborde tout avec complaisance, il raconte tout avec détail, puisqu’il écrit de loin à quelqu’un qui veut tout savoir et qui ne peut abuser de rien. Qu’on ne s’étonne donc pas si ce recueil est à la fois une lecture piquante et un ouvrage historique : c’est la peinture familière de l’Angleterre pendant un demi- siècle, et le peintre était un admirateur enthousiaste de Mme de Sévigné.

Horace Walpole revint en Angleterre au mois de septembre 1741. Il y arrivait pour représenter dans un nouveau parlement, élu au mois de juin précédent, le bourg de Callington, dans le Cornouailles. Il trouva le monde politique fort agité : la crise éclatait où devait succomber son père après tant d’années d’un grand pouvoir. Il faut ici rappeler en peu de mots quelle fut l’administration de Robert Walpole.

Une réaction s’est faite en faveur de sa mémoire : comme toutes les réactions du monde, elle a dépassé le but. Sans doute l’histoire ne doit pas confirmer à Walpole le titre injurieux qu’il reçut de son vivant, le titre de père de la corruption ; mais il ne faut pas non plus, comme un écrivain recommandable, lord Dover, l’appeler la gloire des whigs. Il n’inventa pas la corruption, il la trouva tout établie. Au siècle dernier, le parlement d’Angleterre, définitivement promu par la révolution au rang qui lui était dû, ne rencontrait pas dans sa constitution propre de suffisantes garanties contre l’abus de ses justes prérogatives. Trop d’élections étaient illusoires et vénales, et le secret de ses débats le dérobait au contrôle de l’opinion ; il manquait de responsabilité, condition funeste pour toute puissance en ce monde. Le pouvoir exécutif était sa proie ou son instrument. Pour le prendre ou pour le garder, tout était permis. Des abus consacrés offraient un prix à toutes les cupidités. L’avarice se cachait derrière l’ambition,