Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans le préambule de l’acte social, on avait mêlé aux idées d’affranchissement du travail, telles que Turgot les avait émises on renversant l’ancien système industriel de la France, une sorte de lyrisme ardent qui se ressentait du langage des sectes contemporaines. La société était d’ailleurs secrète ou cherchait à l’être, et les associés se traitaient de frères. On connaissait les jours de réunions mensuelles; mais les mutuellistes tenaient de temps en temps des séances extraordinaires à des époques indéterminées; ces réunions ne pouvaient cependant guère rester ignorées de l’autorité, car toutes les loges, chacune dans son quartier, se rassemblaient au même moment. L’association entraînait des dépenses auxquelles on subvenait à l’aide de la cotisation individuelle fixée à 1 franc par mois, et d’un droit de 3 francs lors de l’admission de chaque membre.

En 1831, les vœux des ouvriers avaient fini par s’incarner dans une seule idée : l’idée d’un tarif obligatoire, fixant un minimum pour le prix de la façon des étoffes. On se disait : « Les salaires baissent de plus en plus; la misère s’étend comme une plaie croissante; si on fixait un chiffre au-dessous duquel le prix du travail ne pourrait point tomber, on serait à l’abri de ces dépréciations arbitraires qui bouleversent l’état des familles. » Cette prétendue digue qu’ils demandaient à un tarif, les ouvriers ne s’apercevaient pas qu’elle reposerait sur un sable mouvant. Subordonné à des circonstances essentiellement mobiles et souvent impossibles à déterminer, le minimum devait être cependant précis et invariable. La ville de Lyon eût-elle possédé le monopole des soieries, que l’établissement d’un tarif eût encore nécessité une réglementation générale et rigoureuse du travail, mesure toujours accompagnée des plus graves inconvéniens. Le projet qui prévalut un instant avait d’ailleurs ce singulier caractère d’être obligatoire pour les fabricans, qui ne pouvaient descendre au-dessous du minimum, et non pour les ouvriers, qui demeuraient toujours libres de ne point l’accepter : ainsi on ne fermait même pas la porte aux refus de travail et aux grèves. En réalité, il existe toujours à Lyon, comme ailleurs , une espèce de tarif, c’est-à-dire un prix courant connu de tout le monde, mais facultatif et qui suit le cours du temps. S’il laisse passer des abus individuels, il est encore moins funeste qu’une règle inflexible.

Dès qu’on réclamait un tarif positif, il fallait bien pourtant qu’il devînt obligatoire. Quand les ouvriers insistaient sur cette condition essentielle, ils se montraient conséquens avec eux-mêmes. L’autorité préfectorale d’alors, qu’animaient des intentions plus droites que clairvoyantes, qui avait patroné, pour ainsi dire, l’idée du minimum et donné une approbation implicite au chiffre fixé par les délégués des ouvriers et par les délégués d’une partie des fabricans; l’autorité préfectorale, disons-nous, tombait au contraire dans une évidente