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bourgeoise. On ne les voit point, comme en d’autres villes, affecter de se distinguer le dimanche par un costume négligé. La blouse et la casquette sont laissées à la partie la plus déréglée de la population nomade. Ces habitudes, qui attestent une certaine recherche, ne se lient malheureusement pas toujours à l’esprit d’économie. L’argent consacré aux habits comme aux plaisirs excède trop souvent la limite qu’on devrait assigner à de telles dépenses en raison des ressources de la famille. Aussi, quand les ouvriers parlent de leurs besoins, ils y font entrer ces satisfactions qu’il est désirable sans doute de leur voir posséder en une certaine mesure, mais auxquelles on regrette de les voir immoler de gaieté de cœur la sécurité du lendemain.

Ce défaut d’économie réagit sur les mœurs. « L’économie jointe au travail, disait Mirabeau, donne des mœurs aux nations. » Imprévoyance et démoralisation se suivent en effet presque toujours. La moralité se ressent aussi à Lyon du régime des ateliers, où les deux sexes sont en général très rapprochés les uns des autres. Ce fait se produit notamment dans les maisons où on tisse à la fois des étoffes unies et des étoffes façonnées. Plus sédentaires que les hommes, les femmes n’en sont pas moins obligées, par les fluctuations du travail, à d’assez fréquens changemens de patron, ce qui les expose à des relations d’autant plus périlleuses, qu’elles offrent l’attrait de la nouveauté. Il faut reconnaître cependant que le désordre entraîne à Lyon peu de déclassement parmi les personnes. Comme les occasions de rapprochement sont devenues difficiles entre des individus placés dans des situations différentes, les filles d’ouvriers sont moins exposées qu’autrefois aux séductions qu’un rang social plus élevé pourrait faire briller à leurs yeux. Les mœurs s’amélioreraient encore à coup sûr, si les chefs d’atelier s’occupaient avec plus de soin de surveiller en pères de famille la conduite des jeunes ouvrières employées par eux. De quel patronage, de quelle tutelle n’auraient pas besoin en effet des filles qui viennent du fond de leurs campagnes commencer leur apprentissage, à l’âge de seize ou dix-huit ans, loin de leur famille, au milieu d’un monde tout nouveau pour elles! Les chefs d’atelier agissent la plupart du temps comme s’ils étaient affranchis de toute responsabilité sous ce rapport. Ils se flattent cependant d’avoir plus qu’à d’autres époques le sentiment de la dignité personnelle, et ils ne voient pas que le signe le plus sûr du respect qu’on se porte à soi-même apparaît dans le rigoureux accomplissement de son devoir, surtout quand ce devoir intéresse la dignité même d’autrui.

La faiblesse du sens moral est malheureusement entretenue à Lyon par la faiblesse du sentiment religieux. Les habitudes religieuses ont beaucoup plus perdu de terrain que la vie de famille, et, dans les pratiques extérieures encore conservées, on suit en général la voie tracée par la coutume, sans avoir conscience du sens de ses propres actes.