près tous mariés. Comme le concours d’une femme est indispensable pour une multitude d’opérations accessoires de leur propre besogne, ils se mettent en ménage de très bonne heure. Par la nature même de son travail, l’ouvrier tisseur est obligé de rester chez lui; quand la fabrique est en pleine activité, il ne s’éloigne guère de sa demeure. Même en temps de chômage, vous le trouvez encore une grande partie du jour assis, chagrin et sournoisement pensif, auprès de son métier immobile. Bien que les secousses des vingt dernières années aient un peu affaibli le lien domestique, bien qu’on voie moins souvent qu’autrefois les ménages prendre, les dimanches et jours de fêtes, des divertissemens en famille, il est toujours vrai de dire que les chefs d’atelier ont du goût pour la vie à domicile, pour une installation commode dont ils aiment à s’occuper durant leurs momens de loisir.
Des changemens heureux, successivement apportés depuis le commencement de ce siècle dans la construction des logemens, ont tendu à fortifier ce penchant naturel. Les nouvelles maisons de la Croix-Rousse et des Brotteaux, bien bâties et bien aérées, ne ressemblent en rien à celles des vieux quartiers de la ville, où les ouvriers étaient jadis entassés. Aux progrès réalisés par l’architecture populaire sont venues se joindre des améliorations réelles dans la propreté intérieure des habitations. La salubrité des nouveaux logemens, réunie aux facilités apportées dans le travail par d’ingénieux mécanismes, ont produit la transformation physique si remarquable qui s’est opérée en moins de cinquante ans parmi les ouvriers de la soierie. On n’y reconnaît plus cette race chétive et étiolée qu’on appelait les canuts, et dont les traces ne subsistent plus guère que dans les quartiers Saint-George et Saint-Just, ce pays natal de l’ancienne canuserie. Là, on aperçoit encore de temps en temps un petit vieillard aux jambes grêles, au corps obèse, à la face osseuse et allongée : c’est le vrai canut, errant désormais, à peu près seul de sa lignée, comme le dernier des Mohicans.
Les ouvriers de Lyon n’ont pas cette funeste habitude, que nous avons vue presque universelle ailleurs, de s’abreuver d’eau-de-vie deux ou trois fois par jour. L’abus des liqueurs alcooliques est parmi eux un fait exceptionnel; les chefs d’atelier ne boivent même que peu de vin au cabaret, et, quoique l’ivrognerie soit moins rare parmi les compagnons, on ne saurait établir aucun parallèle sous ce rapport entre cette localité et les districts industriels du nord et de l’est de la France. Les goûts lyonnais sont moins grossiers, mais en même temps plus coûteux. Les ouvriers recherchent les cafés de préférence aux cabarets, et surtout ces cafés chantans qui ont été importés à Paris depuis quelques années, et qui obtiennent un grand succès sur les bords du Rhône. La musique plaît à ces populations méridionales, ainsi que les spectacles de tout genre. On s’aperçoit en outre que les ouvriers s’appliquent, dans leurs vêtemens, à ressembler à la classe