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distinction sortirent le faste imposant, la ruse trompeuse et tous les vices qui en sont le cortège. D’un autre côté, de libre et indépendant qu’était auparavant l’homme, le voilà, par une multitude de nouveaux besoins, assujetti pour ainsi dire à toute la nature et surtout à ses semblables, dont il devient l’esclave en un sens, même en devenant leur maître : riche, il a besoin de leurs services ; pauvre, il a besoin de leurs secours, et la médiocrité ne le met point en état de se passer d’eux. Il faut donc qu’il cherche sans cesse à les intéresser à son sort et ta leur faire trouver en effet on en apparence leur profit à travailler pour le sien ; ce qui le rend fourbe et artificieux avec les uns, impérieux et dur avec les autres, et le met dans la nécessité d’abuser tous ceux dont il a besoin, quand il ne peut s’en faire craindre, et qu’il ne trouve pas son intérêt à les servir utilement. Enfin l’ambition enivrante, l’ardeur d’élever sa fortune relative, moins par un véritable besoin que pour se mettre au-dessus des autres, inspirent à tous les hommes un noir penchant à se nuire mutuellement, une jalousie secrète d’autant plus dangereuse, que, pour faire son coup plus en sûreté, elle prend souvent le masque de la bienveillance. En un mot concurrence et rivalité d’une part, de l’autre opposition d’intérêts, et toujours le désir caché de faire son profit aux dépens d’autrui, tous ces maux sont le premier effet de la propriété et le cortège inséparable de l’inégalité naissante[1]. »

En lisant cette vive censure de la société, je me souvenais de l’avoir déjà lue en mille endroits divers ; je ne me trompais pas : c’était dans les sermonnaires et dans les moralistes chrétiens du XVIIe siècle, et je ne suis embarrassé en vérité que du choix des citations. Prenez, par exemple, le moins théologien des prédicateurs du XVIIe siècle, et je dirais volontiers le plus laïque des sermonnaires ; prenez Massillon dans ses paraphrases des psaumes : que voyons-nous ? « La vanité, l’ambition, la vengeance, le luxe, la volupté, le désir insatiable d’accumuler, voilà les vertus que le monde connaît et estime ; voilà les vertus auxquelles il porte ses partisans….. Loin de se regarder tous comme ne faisant entre eux qu’une même famille dont les intérêts doivent être communs, il semble que, dans ce monde corrompu, les hommes ne se lient ensemble que pour se tromper mutuellement et se donner le change. La droiture y passe pour simplicité ; être double et dissimulé est un mérite qui honore. Toutes les sociétés sont empoisonnées par le défaut de sincérité. La parole n’y est pas l’interprète des cœurs ; elle n’est que le masque qui les cache et qui les déguise. Les entretiens ne sont plus que des mensonges enveloppés sous les dehors de l’amitié et de la politesse. On se prodigue à l’envi les louanges et les adulations, et on porte dans le cœur la haine, la jalousie et le

  1. Tome VII, p. 137, 139 et 140.