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faisait une triste impression sur les vieux officiers, éclairés par l’expérience du passé et la connaissance des hommes, il n’en était pas de même des jeunes gens. Beaucoup d’entre eux, aveuglés par les généreuses illusions de leur âge et rêvant pour l’espèce humaine une perfection morale et un bonheur impossibles en ce monde, saluaient avec joie l’avènement d’un régime qui leur montrait dans une perspective trompeuse les vertus des républiques anciennes et les espérances de la gloire militaire.

Un nouveau chef fut aussitôt envoyé, homme de cœur et de résolution, fait pour comprendre et exécuter ce que réclamait la gravité des circonstances. Des manières simples et franches, une physionomie ouverte sur laquelle se réfléchissent les nobles qualités de son ame, se joignent à un corps glorieusement mutilé pour donner à l’amiral Baudin des dehors qui préviennent et qui entraînent. Ce sont là ses moindres avantages. Il sait vouloir, et le poids de la responsabilité, si lourd à tant d’autres, n’est rien pour lui. Ce que sa conscience et son devoir lui dictent, il l’exécute avec promptitude et vigueur. Tout révèle en lui l’homme fait pour commander, aussi apte à concevoir des idées fécondes qu’à en assurer l’application. Sans perdre un instant, il se décida à arracher l’escadre au spectacle et à la contagion des saturnales révolutionnaires. Il l’entraîna aux îles d’Hyères, et rendit à la république le service, méconnu alors, fort apprécié plus tard, de lui conserver intacts les élémens de grandeur et de gloire si longuement préparés par la monarchie.

L’escadre fut ainsi sauvée ; son organisation, sa discipline, ses traditions, son esprit, tout lui resta, et nous allons la voir, comme l’armée, prendre une part dans la tâche glorieuse de conjurer les périls que la catastrophe de février avait appelés sur la France. Plus heureuse que l’armée, il lui fut donné de poursuivre sa carrière de dévouement envers le pays sans se mêler à nos discordes civiles et sans avoir à répandre le sang français.

À peine venait-elle d’arriver aux îles d’Hyères, que l’ordre lui fut donné de se rendre sur les côtes d’Italie, pour y appuyer la politique de la France. Le rôle que nos marins ont joué dans les événemens dont cette partie de l’Europe a été le théâtre pendant ces dernières années est une nouvelle phase de l’histoire de l’escadre, et n’est pas la moins honorable. Comme je l’ai dit plus haut, son éducation est achevée désormais, et ce corps plein de sève et de vie, dans la plénitude de sa vigueur et de ses moyens d’action, peut être mis aux prises avec tout ce qu’il y a de plus difficile et de plus périlleux. Et son organisation matérielle n’est pas seule ainsi à l’épreuve : l’esprit qui l’anime n’est pas moins ferme et moins viril, n’est pas moins parfait dans son développement. Cette réunion prolongée d’un grand nombre d’hommes