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dès-lors ce que depuis l’expérience a mieux appris encore, qu’à l’avenir le principal emploi des forces navales sera dirigé contre des ports de mer, et que si l’artillerie des vaisseaux est indispensable pour détruire les batteries ennemies, les soldats ne le sont pas moins pour achever le succès et conserver le résultat obtenu. L’escadre, telle qu’elle était composée, remplissait donc, autant que nos ressources maritimes et les limites du budget le rendaient possible, les conditions nécessaires pour ne pas rester au-dessous de ce que les intérêts de la France pouvaient exiger d’elle.

Nous étions à la fin de 1847, à la veille des événemens redoutables dont tout le monde pressentait plus ou moins l’approche. On entendait gronder l’orage, et personne ne pouvait se méprendre sur les signes précurseurs qui l’annonçaient à plus d’un point de l’horizon. Cependant nous espérions tous que quelque diversion puissante aurait la vertu de le détourner de notre pays. Involontairement nous nous figurions notre belle et rapide escadre allant chercher ces fameux bataillons préparés par la rude école de la guerre d’Afrique, et les amenant dans les plaines de l’Italie, remplies pour nous de si glorieux souvenirs, afin d’y combattre des ennemis dignes d’eux, sous le drapeau de l’indépendance, noble drapeau qui alors était exempt de toute souillure. Hélas ! c’étaient des rêves qui ne devaient pas se réaliser. Du moins, dans le pressentiment des grands événemens qui allaient se passer, chacun de nous, comme en 1840, avait fait tout ce qui dépendait de lui pour que l’honneur de la patrie ne fût pas en péril. Le reste était aux mains de Dieu.


III.

L’escadre revenait à peine d’une longue station sur les côtes de Sicile et d’Italie, lorsque la nouvelle de la révolution de février arriva à Toulon. Le roi Louis-Philippe avait cessé de régner, et le vent révolutionnaire avait balayé de sages institutions auxquelles trente années de prospérité et de liberté auraient dû servir de sauvegarde ; mais l’avènement de la république ne changeait rien au devoir : l’escadre était celle de la France, et la conserver à la France fut la première pensée de tous. On fut frappé de stupeur, on eut à refouler au dedans de soi des sentimens froissés ; néanmoins on comprit qu’avant tout il fallait sauver la force navale du pays de la désorganisation qui suit toujours un changement violent dans la forme du gouvernement. Tout devait faire croire que la France, lancée dans la plus redoutable des aventures, aurait à lutter contre l’Europe entière ; il importait qu’elle entrât dans cette lutte avec tous les moyens de défendre son honneur et son indépendance. Si d’ailleurs le mot de république