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peut-être par ceux-là même qui la poussaient contre nous, s’avisa de ce péril ; elle reconnut qu’à très peu de frais la France pouvait lui faire beaucoup de mal, et recueillir pour elle-même un avantage certain et considérable. Elle ne voulut pas y donner prétexte ; depuis ce jour, le bey de Tunis n’a plus été inquiété, et la frontière orientale de l’Algérie continue à se garder toute seule.

L’escadre revint passer l’hiver en France. En 1847, elle subit dans sa composition une modification assez importante. On la réduisit à cinq vaisseaux et une frégate ; mais chacun de ces navires était de l’espèce la plus puissante. Des cinq vaisseaux, trois étaient à trois ponts, un de 90 canons et le dernier de 80 ; la frégate n’en portait que 40. mais c’étaient de ces redoutables canons-obusiers qui lancent horizontalement de véritables bombes, et que le monde entier connaît sous le nom de canons à la Paixhans. Moins forte par le nombre des navires qu’elle ne l’avait été dans les trois années précédentes, l’escadre l’était en réalité bien davantage. Sa puissance était immense. Jamais nous n’avions eu un noyau de marine aussi compacte, aussi solide, aussi bon à présenter à nos amis et à nos ennemis. Les états-majors et les équipages, instruits par une longue expérience, n’avaient plus rien à apprendre. On pouvait considérer cette petite escadre dans son ensemble comme dans chacun de ses détails, et il n’y avait pas de marine au monde qui pût offrir rien de mieux. Nous avions trouvé le secret de suppléer au nombre par l’excellence et la qualité. À cet avantage de la plus grande force possible sous le moindre volume, l’escadre en joignait un autre, celui de la mobilité. Un puissant remorqueur à vapeur était attaché à chaque navire à voiles. Aussi, pour la première fois, vit-on une flotte se mouvoir avec une vitesse de sept milles à l’heure en temps de calme. Pour la première fois, on vit une armée navale franchir en trente-six heures la distance de Spezzia à Toulon, maigre de fraîches brises contraires, qui, sans le secours des remorqueurs, l’eussent retardée d’au moins une semaine. Dans les opérations maritimes encore plus que dans la guerre de terre, le temps est précieux ; l’occasion une fois perdue ne se retrouve plus. Si donc l’espèce des vaisseaux de l’escadre leur permettait de se mesurer avec des chances certaines de succès contre tout ennemi d’une force numérique égale à la sienne, si même, contre un ennemi supérieur en nombre, la puissance de ses moyens d’action lui donnait la possibilité de balancer le succès et tout au moins l’assurance d’une lutte honorable, la mobilité toute nouvelle qu’elle avait acquise lui offrait en même temps l’avantage de multiplier ses forces par la rapidité et la sûreté de ses mouvemens. Enfin, sur cinq grandes frégates et deux corvettes à vapeur, pouvaient être répartis à un moment donné six mille hommes au moins de troupes de débarquement. Et nous savions