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modifier par lui-même. Il connaissait trop bien les hommes pour ne pas savoir que ce qui émane de la volonté d’un seul, avec quelque enthousiasme qu’on l’accepte d’abord, finit toujours par être contesté, et que la responsabilité du bien même devient quelquefois trop pesante quand elle n’est pas partagée. L’escadre resta donc avec lui à peu près ce qu’elle avait été sous ses deux prédécesseurs, et, pendant les trois années qu’il la commanda, elle eut pour principal rôle de concourir avec nos soldats à assurer notre domination en Afrique.

À cette époque, les colonnes mobiles de notre armée, luttant de ruse et de légèreté avec les nomades du sud, supportant la faim, la soif et toutes les misères avec une abnégation que leur bravoure dans le combat pouvait seule égaler, étaient parvenues à faire respecter les limites de nos possessions du côté du désert. Les choses étaient moins avancées sur la frontière de l’ouest qui touche au Maroc. Là habitait une population fanatique et guerrière, dont les irruptions continuelles, en provoquant de notre part de continuelles représailles, menaçaient de nous entraîner à des agrandissemens illimités de territoire. La guerre du Maroc, en 1844, avait eu pour résultat de mettre un terme à cette situation dangereuse ; elle apprit au gouvernement marocain à connaître les forces de la France, et lui prouva en même temps que son propre intérêt et le soin de son existence exigeaient qu’il vécût en bonne intelligence avec nous. La reddition d’Abd-el-Kader, qui fut obtenue par l’active coopération des troupes marocaines, donna raison plus tard à cette politique, et ce résultat valut mieux pour nous sans doute que la nécessité d’aller mettre garnison à Fez. Ajoutons en passant que dans la campagne maritime du Maroc trois vaisseaux, détachés momentanément de l’escadre, furent employés, et qu’ils firent honneur à l’école d’où ils étaient sortis.

Les frontières de l’Algérie étaient ainsi assurées du côté de l’ouest et du sud. Restait la frontière de l’est, la moins inquiétée jusqu’alors et néanmoins celle de toutes d’où pouvaient, dans l’avenir, sortir le plus de dangers pour notre colonie. On va voir comment l’action morale de l’escadre éloigna ces dangers.

L’empire ottoman réclame encore aujourd’hui la régence de Tunis comme une de ses provinces. Nominalement, le bey actuel, Ahmed, est son vassal, mais en fait il est un souverain parfaitement indépendant. Fils d’une chrétienne qui a exercé et qui exerce encore sur lui la plus douce influence, ce prince éclairé a réussi, au milieu de mille embûches, à triompher de tous ses ennemis, à maintenir son autorité sur toute la régence, et à assurer au commerce une liberté et une sécurité que bien des états plus civilisés pourraient lui envier. Du jour où la France est devenue maîtresse de l’Algérie, sa politique a dû être de se faire un ami de ce prince ; elle lui a demandé de ne pas permettre