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là les qualités les moins naturelles à nos matelots, dont la bouillante ardeur ne sait plus se maîtriser dès qu’ils sont à terre.

Ainsi ne furent point perdus pour notre escadre les longs séjours que, de 1840 à 1848, elle dut faire aux îles d’Hyères ; ainsi vit-on les habitudes actives du cap Baba et de Besica se conserver même au milieu de son repos apparent sur les côtes de France. Le moment vint cependant où il lui fut donné d’étendre un peu davantage le champ de ses excursions, et elle fit quelques pointes tantôt sur la côte d’Afrique, tantôt sur le littoral italien. Ces promenades n’étaient jamais sans un bon résultat ; l’instruction des hommes y gagnait toujours, et souvent la politique y trouvait son profit. On nous permettra de donner quelques pages à cette partie de l’histoire de l’escadre. Commençons par un accident qui la mit tout entière à deux doigts de sa perte.

L’hiver de 1841 fut marqué par un de ces terribles coups de vent qui passent de loin en loin sur la Méditerranée et font époque dans la vie du marin. Des désastres sans nombre en furent la conséquence. Tous les navires que le mauvais temps surprit sur la côte de l’Algérie, où vint aboutir l’effort de la tempête, furent enveloppés dans un même naufrage. Ces coups de vent ne le cèdent en violence qu’aux ouragans des mers tropicales ; ils descendent comme une avalanche des flancs neigeux des Pyrénées et des Alpes, et, dans leur course invariable du nord au sud, balaient tout sur leur passage. Aucun signe n’annonce leur venue ; le baromètre lui-même, cet indicateur si fidèle des perturbations atmosphériques, reste haut avant que commence la tempête et pendant qu’elle dure. Malheur aux navires que leur destinée a amenés sous ses coups !

La rencontre de ces redoutables crises de la nature est, pour le marin, plus qu’un jour de combat. Il n’y a point là pour lui l’odeur de la poudre ni l’enivrement de la gloire ; il faut lutter de toute l’énergie de l’ame et du corps contre un danger certain, sans cesse menaçant, et se multipliant sous mille formes. Les voiles sont emportées, les mâts brisés ; le navire échappe à la volonté qui le gouverne, et, battu à coups redoublés par une mer furieuse, n’a plus de défense contre ses assauts. La charpente, écrasée sous le poids de l’artillerie, joue de toutes parts ; l’eau entre par chacun des joints du navire, la lutte semble désespérée, et elle n’en est que plus intrépide et plus active. Combien de temps pourra-t-on encore résister ? Personne ne le sait ; peut-être dans un moment tout sera-t-il fini : chaque instant qui s’écoule ôte une chance de salut. Les forces humaines sont à bout, le courage leur survit encore ; là éclate la puissance de la discipline, là est son triomphe. Voyez le capitaine debout à l’arrière de son navire, fortement attaché à la muraille, car l’irrésistible violence des mouvemens ne permet à personne de se tenir debout sans aide. Voyez-le