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d’artillerie tels qu’au boulet anglais, qui nous tuait une vingtaine d’hommes, le boulet français répondait en coupant un mince cordage ou en faisant un trou à la voilure. Nous étions en face des Anglais ce qu’une mauvaise garde nationale est en face d’une armée de ligne bien organisée. Il en était autrement de notre escadre, où les hommes et les choses avaient acquis toute leur valeur, où nous avions pour nous ce qu’une sûre possession de soi-même et de tous ses moyens ajoute au courage. La lutte eût été vive ; mais l’issue, nous le croyions du moins, n’en eût pas été douteuse.

Quel est celui d’entre nous qui, après avoir lu la triste histoire de nos vingt années de désastres, n’a pas éprouvé le besoin d’en rechercher et d’en approfondir les causes ? Quel est celui qui, après les avoir reconnues et avoir déploré tant de fatales erreurs, ne s’est pas senti soulagé en pensant à la possibilité qu’il y a pour nous d’en éviter le retour ? Pensée consolante qui allège le poids des souvenirs du passé, et fait regarder l’avenir avec confiance ! Si, en effet, les dernières guerres ont été si malheureuses pour notre marine, il est manifeste qu’il faut s’en prendre à l’état révolutionnaire dans lequel vivait le pays, à l’ignorance qui en résultait dans le corps des officiers, à la formation hâtive et désordonnée des équipages, chez qui l’enthousiasme patriotique, avec toutes les merveilles qu’il enfante, ne pouvait suppléer à l’expérience et aux traditions perdues. Il nous est permis d’affirmer que, vaincus par les moyens d’action, nous ne l’avons jamais été par le courage. L’histoire de James, ce moniteur officiel de la marine anglaise, est là pour attester que, dans le cours de cette longue guerre, à sang égal versé, c’est-à-dire lorsque quelque accident n’a pas permis du premier coup à nos rivaux de nous écraser de leur supériorité, l’avantage a fini par nous rester. Que nos moyens d’exécution égalent donc les leurs, et nous pourrons alors espérer le succès. C’est là une idée qui ne doit jamais nous quitter, au milieu des ennuis d’une longue croisière, parmi le retour sans cesse répété des mêmes exercices dont notre impatience se lasse quelquefois trop vite. Il faut nous dire que, par cette laborieuse et lente éducation de nos équipages, nous préparons peut-être à la France des élémens de triomphe et de gloire. Rien de plus beau sans doute, rien de plus héroïque que le combat du Redoutable à Trafalgar ; mais savoir vaincre est aussi honorable et plus utile pour le pays que de savoir mourir, et c’est là que doivent tendre tous nos efforts. Telles étaient nos pensées en face des Anglais, dans notre commun mouillage de Besica.

L’escadre de l’amiral Stopford avait sur la nôtre un seul avantage ; elle comptait plusieurs bâtimens à vapeur bien organisés et déjà armés très puissamment. Dans les opérations dont nous entrevoyions la possibilité, les vaisseaux anglais auraient pu se faire traîner à