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perdu de son ardeur. Audacieux jusqu’à la témérité, d’une persistance invincible, il ne négligeait rien de ce qui pouvait assurer le succès des projets qu’il avait mûris. C’est à lui, je ne crains pas d’être démenti en l’affirmant, que la France doit la formation de cette escadre qui fait depuis treize ans notre force et notre honneur. Jamais, avant lui, on n’avait mis dans l’instruction de nos équipages cette méthode, cette suite, cet ensemble, qui leur ont donné une si grande supériorité. Il est très vrai que les circonstances lui prêtèrent une aide singulière, et qu’il dut à l’enthousiasme, aux espérances de gloire dont étaient animés ses officiers, de trouver chez eux un concours presque sans exemple ; mais l’honneur ne lui en revient pas moins d’avoir formé une escadre vraiment incomparable. Ce qu’il fit alors, soit quand il n’avait que deux vaisseaux, soit lorsqu’il en eut jusqu’à vingt sous ses ordres, a passé en tradition et fait encore loi dans notre marine. On n’a guère fait après lui que suivre ses traces, que conserver son œuvre, et cette flotte qui, en 1848, à Palerme, recevait des éloges publics de M. l’amiral Parker, cette flotte pouvait être appelée encore l’escadre de l’amiral Lalande.

Celui qui ne connaissait pas M. Lalande n’éprouvait en l’approchant aucun embarras. En même temps que ses cheveux blancs inspiraient le respect, on était attiré par son sourire aimable et l’expression bienveillante de sa physionomie. On se sentait parfaitement à l’aise avec lui dans la conversation ; mais il ne fallait pas se hasarder à contredire une de ses opinions. Il vous répondait toujours en souriant, mais derrière ce sourire il y avait quelque chose qui vous disait que vous perdiez votre temps à vouloir le faire changer d’avis. Il était le même dans le service que dans la conversation, toujours poli et bienveillant, attachant peu d’importance aux apparences, inflexible quant au fond, et tenant à l’entière et rigoureuse exécution de sa volonté. S’épargnant aussi peu qu’il le faisait lui-même, sacrifiant sans pitié son corps usé par les fatigues et se jouant avec une santé délabrée, il se croyait le droit de beaucoup exiger de ceux qui servaient sous lui. Pour qui le regardait de près, le charme de ses grandes qualités était rehaussé par celui d’une extrême modestie, et cette modestie même était comme un levier de plus qu’il avait pour remuer les hommes : « Je ne vaux pas mieux qu’un autre, disait-il, et ce que j’obtiens sur mon vaisseau, chacun, à plus forte raison, doit l’obtenir sur le sien. Il n’y a personne qui de doive réussir à faire ce que je fais. » Aussi, lorsque plus tard il eut une flotte nombreuse sous ses ordres, on le voyait prendre avec son vaisseau la tête de l’escadre, et sans avertissement, sans signaux préalables, tenter les manœuvres les plus téméraires. Presque toujours il réussissait, et toute l’escadre après lui. Ce que la plupart des capitaines n’auraient point essayé de sang-froid, ce