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« Les blessures qu’Agésilan avoit reçues empiroient tous les jours. Les chirurgiens les jugeoient mortelles. Théodate ne garda pas le lict de la sienne. Il étoit continuellement près d’Agésilan, lequel, sentant diminuer ses forces, dit à Théodate : J’ay une prière à vous faire, qui est d’obliger Isménie de me venir voir pour la dernière fois, et que vous soyez seul témoin de ce que j’ay à lui dire. Les médecins et les chirurgiens assurèrent Théodate qu’Agésilan ne pouvait pas passer la journée, ce qui l’obligea de se haster d’aller trouver Isménie et la disposer de venir dire le dernier adieu à Agésilan, ce qu’elle fit avec une douleur extrême. D’abord qu’Agésilan la vit, la couleur lui revint au visage, et l’émotion qu’il eut en voyant ce qu’il aymoit chèrement lui donna la force de dire : Madame, depuis que je vous ay perdue, je n’ay rien tant désiré que de mourir pour votre service. Dieu a exaucé mes prières. Je ne pouvois estre heureux, ne vous possédant pas. Ma passion étoit trop forte pour rester content dans le monde. J’ay à vous rendre grâces de la bonté que vous avés d’agréer que je vous dise que je meurs à vous, et fort content de ne plus troubler votre repos. Et, luy tendant la main : Adieu, ma chère Isménie, et il rendit l’esprit dans cet instant. Après le dernier adieu qu’Agésilan fit à Isménie, qui fut aussi le dernier soupir de sa vie, Isménie demeura immobile quelque temps. Puis tout d’un coup elle se jette sur le corps d’Agésilan, l’embrasse, lui prend les mains, les arrose de ses larmes, et, commençant d’avoir la voix libre, elle dit : « Faut-il que je survive au plus fidèle et sincère amant qui ait jamais esté au monde? Est-ce là, mon cher Agésilan, la récompense que tu devois attendre de l’ingrate Isménie? Tu n’as aimé qu’elle, et, dans le même temps qu’elle t’a quittée, ton désespoir t’a fait chercher la mort dans les batailles où ton grand cœur, ta réputation et tes grandes actions ont esté immortelles; et après cela tu viens mourir devant mes yeux et me dis que tu n’as jamais eu de joye depuis m’avoir perdue, et que tu meurs content puisque tu ne me peux posséder!... Reçois, cher et fidèle amy, ces larmes et le regret immortel de ta perte qui me percera le cœur mille fois par jour. Reçois cette amende honorable que je te fais de toutes mes rigueurs et de tous les déplaisirs que je t’ai causés. Ah! misérable que je suis! que deviendray-je? où irai-je? Non, il faut mourir de regret et d’amour. Je ne te quitteray plus, je veux demeurer auprès de toy. » Et, l’embrassant, elle baisoit ses yeux et son visage avec des transports de tendresse capables de faire fendre le cœur à tout le monde. »

Mais, rappelons-le en finissant, tous ces tendres sentimens sont de poétiques inventions de l’auteur de la nouvelle. Pour rendre Mme de Longueville plus touchante, on l’a représentée partageant la passion qu’elle inspirait; mais rien ne nous autorise à supposer qu’elle eût en effet de l’amour pour Coligny. Elle l’aimait comme un des