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autant que de ses blessures, désespéré d’avoir si mal soutenu la cause de sa propre maison et celle de Mme de Longueville.

Cette affaire, avec ses dramatiques circonstances et son dénoûment tragique, eut un immense et douloureux retentissement dans Paris et dans la France tout entière. Elle ranima un moment les divisions des partis, et suspendit les divertissemens et les fêtes de l’hiver de 1644[1]; elle n’occupa pas seulement les familles intéressées et la cour, elle frappa vivement toute la haute société, et demeura quelque temps l’entretien des salons. On pense bien qu’en se répandant elle se grossit de proche en proche d’incidens imaginaires. D’abord on supposa que Mme de Longueville aimait Coligny. Il le fallait pour le plus grand intérêt du récit. De là cette autre invention, qu’elle-même avait armé le bras de Coligny, et que d’Estrades, chargé d’appeler le duc de Guise, ayant dit à Coligny que le duc pourrait bien désavouer les propos injurieux qu’on lui prêtait et qu’ainsi l’honneur serait satisfait, Coligny lui aurait répondu : « Il n’est pas question de cela; je me suis engagé à Mme de Longueville de me battre contre lui à la Place-Royale, je n’y puis manquer[2]. » On ne pouvait s’arrêter en si beau chemin, et Mme de Longueville n’aurait pas été la sœur du vainqueur de Rocroy, une héroïne digne de soutenir la comparaison avec celles d’Espagne, qui voyaient mourir leurs amans à leurs pieds dans les tournois, si elle n’eût assisté au combat de Guise et de Coligny. On assura donc que le 12 décembre elle était dans un hôtel de la Place-Royale, chez la duchesse de Rohan, et que là, cachée à une fenêtre, derrière un rideau, elle avait vu la terrible rencontre.

Alors, comme aujourd’hui, c’était la poésie, c’est-à-dire la chanson, qui mettait le sceau à la popularité d’un événement. Quand l’événement était funeste, la chanson était une complainte burlesquement pathétique et toujours un peu railleuse. Telle est celle-ci, qui courut toutes les ruelles, et fut réellement chantée, car nous la trouvons dans le Recueil de chansons notées de l’Arsenal[3] :

Essuyez vos beaux yeux.
Madame de Longueville;
Essuyez vos beaux yeux,
Coligny se porte mieux.
S’il a demandé la vie.
Ne l’en blâmez nullement ;
Car c’est pour être votre amant
Qu’il veut vivre éternellement.

Après la chanson, le roman; Mme de Longueville eut aussi le sien.

  1. Mademoiselle, Mémoires, t. Ier, p. 74.
  2. Mme de Motteville, t. Ier, p. 201.
  3. Elle est aussi dans Mme de Motteville, ibid.